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Nelly Arcan: «La fureur de ce que je pense» au Théâtre Espace GO: la souffrance de Nelly, la puissance d'une œuvre (CRITIQUE/VIDÉO)

«La fureur de ce que je pense»: la souffrance de Nelly, la puissance d'une œuvre (CRITIQUE/VIDÉO)

Le Théâtre Espace GO clôt sa saison 2012-2013 avec la puissance, la vérité, la fragilité des mots de Nelly Arcan. Collage d’extraits des ouvrages Putain, Folle et L’enfant dans le miroir, La fureur de ce que je pense, imaginée par Sophie Cadieux et mise en scène par Marie Brassard, reflète avec une justesse poignante le mal-être qui habitait l’icône de la littérature d’ici à travers un spectacle émouvant, qui nous aide à mieux cerner la femme derrière la façade médiatique.

Six magistrales actrices et une danseuse portent la parole de l’auteure décédée tragiquement en 2009. Dans une magnifique scénographie, Anne Thériault, Sophie Cadieux, Christine Beaulieu, Julie Le Breton, Johanne Haberlin, Evelyne de la Chenelière et Monia Chokri hurlent la détresse profonde qui était celle de Nelly Arcan. Prisonnières de grandes cases vitrées représentant des pièces distinctes (boudoir, chambre, salle de bain…), les comédiennes livrent des tirades senties, tandis qu’Anne Thériault fait parler son corps en chorégraphiant la souffrance d’un espace à l’autre.

Son obsession de la beauté, sa crainte du vieillissement, sa fascination pour les grands paysages, sa sœur morte un an avant sa naissance, sa relation complexe avec son père, toutes les richesses et les blessures des écrits de la reine de l’autofiction se retrouvent condensées dans sept partitions explorant chacune un thème: Le chant perdu (errance, solitude), Le chant des mirages (illusions, corps), Le chant occulte (destinée, confusion des genres), Le chant de l’éther (étoiles, nature), Le chant du sang (sang, descendance), Le chant de l’ombre (mort, pouvoir d’attraction) et Le chant des serpents (foi, folie). Le tout enrobé de la musique, omniprésente et sublime, d’Alexander Macsween.

On a volontairement occulté tout l’aspect des activités d’escorte de Nelly Arcan et la poudre aux yeux qui en découle pour ne laisser place qu’à la poésie de sa prose et son regard si particulier sur le monde. Judicieux, le choix assure une linéarité et évite que le propos ne s’égare en tous sens. Évidemment, l’ensemble peut sembler lourd par moments, mais on retrouve là l’essence la plus pure de l’art de Nelly Arcan.

Les phrases plus signifiantes les unes que les autres se succèdent à une cadence qui ne laisse aucun répit. «Je vivrai heureuse quelques minutes, le temps de me déshabiller de mon sexe»; «C’est en témoin de mon enterrement que je me dis adieu»; «Les putes sont condamnées à se tuer de leurs propres mains»; «Je meurs comme on meurt au théâtre». Qu’on dépeigne un fantasme incestueux impliquant mère, sœur et fille ou que se dessine devant nos yeux troublés un ballet saccadé pour évoquer le trépas de la jeune femme, les frissons nous parcourent inévitablement l’échine et on s’émeut de ces instants gravés pour toujours dans le temps. Certaines images sont d’ailleurs extrêmement fortes, comme le segment de Julie LeBreton qui, en robe pailletée sous un ciel étoilé dans une salle de bain de fin de soirée, nous entretient de l’infini et du cosmos. Encensons encore une fois le jeu à la fois sobre et déchirant des interprètes sur lequel repose presque entièrement la crédibilité de cet hommage posthume.

Tout, dans l’œuvre de Nelly Arcan (née Isabelle Fortier), annonçait à grands cris son suicide. L’écrivaine se soumettait-elle à un exercice testamentaire en signant ses bouquins? Imaginait-elle déjà ceux-ci comme son legs, la trace qu’elle laisserait après son trop bref passage de 36 ans sur terre? L’expérience La fureur de ce que je pense nous prouve que oui. Et l’héritage, bouleversant, résonnera longtemps en nous.

La fureur de ce que je pense est présentée à l’Espace GO jusqu’au 4 mai. Des représentations supplémentaires ont été ajoutées les 21 et 28 avril, et les 5, 7 et 8 mai. Pour plus d’informations: www.espacego.com.

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