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Mort numérique: comment sont gérées les données personnelles en cas de décès

Mort numérique: gérer les données personnelles en cas de décès
Flickr/h.koppdelaney

Dans Le cycle de Pandore, l'écrivain Peter F. Hamilton imagine la possibilité de stocker son esprit dans une super Intelligence Artificielle après la mort. Si ce concept est (pour le moment) à ranger dans la catégorie science-fiction, la délicate question de la vie numérique en cas de décès a pourtant son importance.

La question a d'ailleurs été mise en plein jour en septembre 2009. A l'époque, Bruce Willis voulait attaquer Apple pour pouvoir léguer sa bibliothèque iTunes à ses filles, selon The Sun. La femme de l'acteur avait finalement démenti l'information, mais le problème de la succession de fichiers numériques est lui bien réel.

Nous stockons de plus en plus de données en ligne, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux. 71% des Français disposaient au moins d'un compte sur un réseau social en 2012, selon Ipsos Profiling 2012. A titre d'exemple, 350 millions de photos sont mises en ligne sur Facebook chaque jour.

Toutes ces informations, personnelles ou publiques, sont donc sauvegardées sur les serveurs de ces entreprises privées. Mais comment sont-elles traitées lors de la mort d'un utilisateur? Pour des biens matériels, la question ne se pose pas: le droit de succession donne un cadre juridique général. Mais concernant les données dématérialisées?

Internet, une zone grise juridique

La loi est extrêmement floue sur le sujet. De manière générale, les données personnelles sont bien entendu encadrées, notamment par la loi informatique et libertés. "L'un des principes de cette loi, c'est qu'il y a une obligation quand on prête des informations à une entreprise de prévoir une durée maximale," précise Blandine Poidevin, avocate spécialisée dans le droit internet.

Et si une personne décède? "S'il y a un décès, les données stockées par une entreprise doivent théoriquement être supprimées. Mais il n'y a rien de systématique, aucune procédure obligatoire", explique-t-elle. Pour autant, "la loi prévoit la possibilité pour les héritiers de faire cette démarche, c'est le droit de suppression", ajoute-t-elle. Voici ce que dit la loi:

  • Les héritiers d'une personne décédée justifiant de leur identité peuvent, si des éléments portés à leur connaissance leur laissent présumer que les données à caractère personnel la concernant faisant l'objet d'un traitement n'ont pas été actualisées, exiger du responsable de ce traitement qu'il prenne en considération le décès et procède aux mises à jour qui doivent en être la conséquence.
  • Lorsque les héritiers en font la demande, le responsable du traitement doit justifier, sans frais pour le demandeur, qu'il a procédé aux opérations exigées en vertu de l'alinéa précédent.

Les possibilités existent donc. Et devraient être élargies à l'avenir. Mais encore faut-il que les ayants droit y pensent. Ou même soient au courant. "Il y a une vraie difficulté: comment retrouver tous les supports où sont stockés les informations?", s'interroge Blandine Poidevin.

Comment savoir, par exemple, qu'un proche possédait un compte Paypal avec une certaine somme dessus? Ou qu'une de ses boites mails contenait des informations importantes? "Les mécanismes actuels pour connaître les successions sont inadaptés, c'est par exemple le notaire qui va personnellement appeler les banques pour se renseigner", précise l'avocate.

Le texte se poursuit ci-dessous:

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Un mémorial pour Facebook, un testament chez Google

Face à ce vide juridique, les géants du web ont donc le champ libre. Ainsi, la plupart des réseaux sociaux proposent des méthodes différentes pour traiter la question de la mort.

Facebook permet la création d'un mémorial. "Quand on apprend qu'un utilisateur est décédé, le profil est placé en 'mémorial'. Certaines parties du profil sont cachées pour protéger la vie privée du défunt: la ligne 'statut' est supprimée, le membre est retiré des groupes auxquels il appartenait et seuls ses amis peuvent voir son profil mémorial", expliquait un porte-parole de Facebook à Rue89.

Un formulaire est disponible sur le réseau social pour répondre à cette demande. Mais le formulaire ne propose pas de supprimer le compte. Uniquement de le transformer en mémorial.

De son côté, Twitter propose un formulaire similaire, permettant cette fois de supprimer le compte du défunt. Dans les deux cas, la preuve du décès et du lien de l'ayant droit avec le détenteur du compte est nécessaire.

Chez Google, on propose depuis le 11 avril une sorte de testament numérique, permettant de programmer la suppression du compte Google, mais aussi d'envoyer les données personnelles (que ce soit celles de Gmail, YouTube, Google+, etc) à un ou plusieurs proches.

Microsoft lui propose pour ses services -Hotmail compris- la fermeture du compte et le transfert des données stockées, mais ne propose pas d'y accéder directement.

Yahoo! permet pour sa part la suppression du compte sous présentation d'un avis de décès. Par contre, les données stockées sur Yahoo! ne peuvent être envoyées aux héritiers "que sur production, en original, d'un acte de notoriété émanant d'un notaire français établissant la qualité des ayants-droits concernés".

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Pas d'héritage chez Apple et Amazon

Amazon et Apple, tous deux permettant l'achat en ligne d'œuvres dématérialisées ne semblent eux pas estimer que les albums et livres téléchargés appartiennent à l'utilisateur.

Ainsi, Apple précise dans ses conditions d'utilisation d'iCloud (son service de stockage en ligne) qu'il n'est pas possible de léguer ses données. Le compte pourra par contre être supprimé, ainsi que tout ce que vous aviez stocké dessus. La fausse colère de Bruce Willis était donc bien justifiée.

"Vous acceptez que votre Compte est incessible et que tous les droits liés à votre identifiant Apple (Apple ID) ou Contenu dans le cadre de votre Compte sont résiliés lors de votre décès. Dès réception d'une copie d'un certificat de décès, votre Compte pourra être résilié et l'intégralité du Contenu de votre Compte pourra être supprimée."

Chez Amazon, le contenu numérique téléchargé, notamment les ebooks disponibles sur son lecteur Kindle, "ne peut être revendu, ni donné, ni transféré entre comptes", précise Numérama.

Toutes ces différences de traitement posent de nombreux problèmes, d'autant plus difficiles à résoudre s'ils ont lieu lors d'une période si tragique.

Ainsi, aux Etats-Unis, Jason Mazzone, un professeur spécialisé sur ces questions, estime qu'une loi doit encadrer le traitement des données personnelles après la mort.

Des sites pour préparer l'après

En attendant que la législation ne bouge sur le sujet, certaines sociétés ont déjà pris le problème du décès sur internet à bras le corps depuis quelques années, en mettant à disposition des "coffres-forts numériques testamentaires". L'idée: entreposer des documents, mais surtout signaler les dernières volontés du défunt, ou l'existence d'une assurance-vie aux héritiers, le tout discrètement.

Encore plus adaptés aux problématiques de la mort numérique, certains services proposent de sauvegarder ces données, mais aussi de préparer un message d'adieu pour les différents réseaux sociaux utilisés, de léguer des mots de passe, etc. C'est par exemple le cas de SocialMausoleum, AfterMe ou Laviedapres. Le premier cité propose même de fermer les différents comptes sur les réseaux sociaux automatiquement.

Petite précision: ces différents services qui veulent rassembler en un même lieu toutes les informations numériques d'un individu ont un prix. Si l'inscription est souvent gratuite, les options les plus intéressantes (création d'une page regroupant les informations à partager aux proches, envoie de multiples messages, etc) sont en général payantes.

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