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Vidéo d'une femme battue pendant un an : faut-il choquer pour faire devenir viral ?

Vidéo d'une femme battue jour après jour : faut-il choquer pour devenir "viral" ?

WEB - S’agit-il d’un appel au secours ou d’une publicité virale contre les violences conjugales? La vidéo d’une femme battue se prenant en photo chaque jour durant un an fait le tour du Web et a été visionnée plus de 500.000 fois en trois jours.

Publiée sur YouTube par un anonyme le 18 mars, cette vidéo d’une minute et vingt secondes montre le visage d'une jeune femme brune évoluer au fur et à mesure des violences qui lui sont infligées (regardez la vidéo au-dessus de cet article). Sur la dernière image, la victime, le visage tuméfié, tient une pancarte sur laquelle on peut lire (en serbe): “Je ne sais pas si je tiendrai jusqu'à demain."

Alors que certains cherchent encore l’identité de cette mystérieuse victime, les spécialistes en sont certains, il s’agit d’une campagne de com’ pour parler des violences faites aux femmes. “C’est beaucoup trop produit pour être fait par une vraie personne”, explique Mathieu Flaig, publicitaire chez We are Social. Les professionnels de la publicité partagent cet avis, pour la bonne et simple raison que cette vidéo reprend tous les codes d’une campagne faite pour être virale et correspond à ce qui se fait de plus en plus dans le monde de la publicité: pour faire du bruit autour d’un sujet sensible avec peu de moyens, il faut faire “trash”.

“Ça sent la campagne de com’”

Le HuffPost a montré cette vidéo à Nael Hamameh, directeur général de You To You, une agence spécialisée dans le marketing et les vidéos virales. En observant les statistiques et les détails de cette vidéo YouTube, ce spécialiste du buzz est affirmatif, “ça sent la campagne de com’”.

Un faisceau d’indices mène à cette conclusion. Tout d’abord, l’utilisateur qui a publié cette vidéo: fero061982 a créé son compte la veille de la publication. Ensuite, avec une résolution HD de 1080 pixels, “la qualité de la vidéo fait très pro”, assure Nael Hamameh.

Puis il y a cette musique en fond: il s’agit du même morceau de piano que celui utilisé par Noah, un internaute s’étant photographié tous les jours durant 6 ans. Visionnée plus de 24 millions de fois, cette vidéo a fait le tour du Web et donné naissance à de nombreuses parodies jusqu’à se retrouver dans un épisode des Simpson. L’Express a également reconnu cet habillage sonore bien identifiable.

“Dans les jours à venir, une révélation devrait apparaître sur le même compte YouTube ou sur un site Internet et nous saurons qui se cache derrière cette vidéo”, explique Nael Hamameh qui comprend pourquoi cette vidéo a fait autant de bruit en quelques jours.

Les codes du Web et de l’émotion

Pour capter l’attention des internautes, cette vidéo reprend une tendance qui fonctionne très bien sur le Web actuellement: les vidéos réalisées à partir de photos prises quotidiennement. De la vidéo de Noah à celle d’un homme changeant de sexe, les vidéos de ce type font énormément parler d’elles. “Cette campagne surfe sur une recette connue, résume Nael Hamameh, c’est plus simple et plus efficace que de partir d’une page blanche pour créer une vidéo virale”.

Mais les ressorts principaux de cette vidéo restent l’émotion et son caractère choquant. “Il y a une nouveauté dérangeante dans cette série de photos quotidiennes, explique Mathieu Flaig. Ce ne sont plus de simples portraits mais des images d'une femme maltraitée régulièrement. L'internaute est spectateur d'une violence et il ne peut qu'en être le témoin, puis le relais...”

“Ce qui fait qu'on partage un message naturellement, c'est parce qu'on a ressenti quelque chose, analyse le publicitaire. On est choqués, tristes, heureux... et sur les sujets "sensibles" souvent, les sentiments négatifs, un peu dérangeants, vont mieux fonctionner que les messages "positifs".”

Choquer pour exister sur le Web

“Ce type de mécanique est assez régulier pour les associations qui parlent de sujets sensibles comme le sida ou les violences faites aux femmes, poursuit Mathieu Flaig. Il s’agit d’organisations qui ont peu de moyens mais ont besoin de faire beaucoup de bruit”.

Pour y arriver, les publicitaires ont trois possibilités: faire drôle, faire beau, ou... faire choquant.

“Cela existe en publicité depuis la nuit des temps: pour marquer les esprits il faut choquer, explique David Chiche du site des dossiers publicitaires Advertising Times. C’est devenu la norme et sur Internet c’est d’autant plus nécessaire que tout va très vite et qu’il faut retenir l’attention.”

Et pour l’auteur d’Avertising Times, le “trash” colle parfaitement au Web. “On a tout une part de voyeurisme, un besoin d’être choqué et Internet permet d'assouvir cela dans un cadre plus privé. Voilà pourquoi le "trash" marche si bien sur le Web”, avoue David Chiche même si pour lui “la violence se standardise dans le marketing viral et tout cela manque d’un sursaut créatif”.

La caution de la bonne cause

Ce qui fait que cette vidéo -malgré son caractère choquant- a été visionnée plus de 500.000 fois, c’est son côté “moral”, la bonne cause pour laquelle ce clip a été tourné.

“Les internautes ont le sentiment de faire une bonne action en partageant les messages de causes nobles, analyse Mathieu Flaig. Parmi ceux qui partagent le message, peu iraient sûrement dans la rue pour manifester pour telle ou telle cause. Mais les réseaux sociaux permettent ce qu'on pourrait définir comme un "engagement minimal". Un "J'aime", un tweet, un partage... et on apporte une petite pierre à l'édifice d'un message qu'il nous paraît important de diffuser.”

Un avis que partage Nael Hamameh: “Si on choque pour vendre un fer à repasser, ça ne fonctionne pas. Le succès de la vidéo de cette femme battue vient surtout fait qu’il ne s’agit pas de vendre un produit mais d’une bonne cause”.

Manque de créativité ou de pertinence, les professionnels mettent en garde. "Il peut être facile de passer la frontière entre l'information, et le voyeurisme des réseaux", rappelle Mathieu Flaig. Une logique qui s’applique à cette vidéo serbe mais à beaucoup d’autres comme ce clip érotique, véritable florilèges de décolletés et de seins filmés sous tous les angles... pour faire la promotion du dépistage du cancer du sein.

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