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Entrevue avec Justin Trudeau, aspirant à la direction du PLC

Entrevue avec Justin Trudeau
CP

Dans le cadre d'un livre électronique publié par le Huffington Post, Justin Trudeau a accordé une entrevue à notre chef de bureau à Ottawa, Althia Raj. Justin Trudeau est aujourd'hui favori dans la course à la direction du Parti libéral du Canada.

Question : Que voulez-vous que les gens sachent à propos de vous?

Justin Trudeau : (longue pause) J’aimerais qu’ils sachent que je suis conscient de ma chance et que j’ai l’intention de passer le reste de ma vie à prouver que je suis digne de cette chance que j’ai reçue par hasard.

J’ai eu des parents extraordinairement aimants. J’ai été élevé dans le meilleur pays du monde. J’ai eu la chance de voyager dans environ cinquante pays avant l’âge de 13 ans et dans 36 autres depuis. J’ai étudié dans de grandes écoles, j’ai eu l’appui de tout le pays lors de la mort de mon petit frère et à nouveau lorsque j’ai perdu mon père. J’ai eu une vie extrêmement privilégiée et je suis reconnaissant de tout cela à chaque étape et tout ce que je peux faire, au lieu de me sentir coupable, c’est de m’assurer de faire honneur à cette chance.

Q : Certaines personnes peuvent penser le contraire de toute l’attention reçue dans les moments plus intimes (la mort d’un frère ou d’un père). Pourquoi le voyez-vous comme du soutien?

JT : Parce que c’était quelque chose de positif. Parce que les gens me voulaient du bien et avaient le cœur brisé comme nous lorsque nous avons perdu Mich (son frère Michel), et des dizaines de milliers de personnes sont venues pleurer la mort de mon père. C’était une belle leçon d’humilité et une expérience très touchante. Je me suis toujours senti très près de ce pays, de par mon éducation, j’ai beaucoup de souvenirs de mes voyages à travers le pays à bord d’un train pendant les campagnes où j’ai découvert la taille et l’étendue du Canada.

Q : Est-ce que cela vous dérange que les gens vous jugent rapidement? Vous aviez mentionné que les gens vous aiment ou vous détestent immédiatement.

JT : Détester est fort comme mot pour la plupart des gens qui ont une vision négative à mon sujet. Il y en a certainement quelques-uns, mais vous savez vos ennemis vont vous détester. Je crois que de porter le nom de Trudeau est quelque chose que j’ai dû gérer toute ma vie, alors ce n’est rien de nouveau. Il y a toujours eu des gens qui ont une idée préconçue de moi. J’ai donc dû apprendre à mettre ça de côté et l’une des façons dont j’y arrive est d’avoir une très forte conscience de moi-même.

Q : Que voulez-vous dire par une très forte conscience de vous-même?

JT : Je suis plus conscient de la façon dont les gens me perçoivent. Et ce n’est pas quelque chose qui me concerne. J’en ai eu la preuve lorsque j’avais annoncé que j’allais me proposer comme candidat dans Papineau (sa circonscription à Montréal). Des gens de partout se sont mis à dire : il vient de prouver qu’il n’est pas le fils de son père, parce qu’il vient de faire une erreur d’abruti en se présentant pour une candidature qu’il ne pourra jamais gagner et dans une circonscription qu’il ne pourrait jamais gagner non plus, à quoi pense-t-il? Et je me suis souri à moi-même en me disant : « Wow, c’est vraiment parfait. Tout ce que je vais avoir à faire, c’est de faire ce que j’allais faire et gagner la candidature, puis gagner l’élection et je n’aurai même pas besoin de répondre à ces critiques, car mes actions auront parlé d’elles-mêmes. » Et c’est vraiment cette approche que j’utilise. Cela ne me dérange pas que les gens pensent que je suis intelligent ou pas ou peu importe. Je vais continuer à faire ce que je dois faire et je vais laisser aux Canadiens la chance de me connaître avec toutes mes forces et faiblesses.

Q : Il semble que vous ayez vécu une drôle d’histoire d’amour avec le parti. D'abord, ils vous voulaient et vous ont offert un siège, puis ils ne vous voulaient plus et ont retiré leur offre.

JT : Je ne me suis pas laissé tracasser par cela inutilement. Je suis qui je suis, je ne me définis pas par ce que les autres pensent de moi, sinon je deviendrais complètement cinglé, car les gens sont polarisés à mon sujet. Je me définis par ce que je sais faire et ce que je peux offrir. Cela me donne ainsi un niveau de sérénité lorsque je rencontre des gens qui ont différents points de vue.

Q : Le nom Trudeau et tout le bagage qui l’accompagne, est-ce que cela vous dérange?

JT : C’est simplement une réalité de ma vie et je ne saurais comment vivre autrement… On peut voir les enfants de parents riches, ou de parents puissants, ou célèbres et cela semble être un poids énorme pour eux. Mes parents ont été excellents pour donner les bons outils à leurs enfants pour gérer les attentes et la pression.

Avoir un nom et un bagage comme nous l’avons, cela veut dire que nous devons travailler vraiment plus fort pour justifier rétroactivement les portes qui s’ouvrent automatiquement pour nous. Parce que certaines portes vont s’ouvrir, mais il sera deux ou trois fois plus difficile pour nous de les traverser la tête haute si on veut bien faire les choses.

Q : Que voulez-vous dire par c’est plus difficile de traverser ces portes?

JT : Pour que je puisse justifier les opportunités qui m’ont été offertes, je dois m’assurer d’avoir travaillé beaucoup plus fort que n’importe qui autour de moi car, pas à cause de ce que les gens vont dire, mais parce que cela me terrifierait de penser que je pourrais possiblement profiter du nom.

Q : Vous devez savoir que les gens sont d’abord et avant tout attirés vers vous à cause du nom que vous portez. Peut-être pas dans les halls d’universités, mais à Surrey ou à Richmond en Colombie-Britannique, où les gens vous voient comme la continuité de votre père.

JT : Oui, absolument. Et cela en fait certainement partie, il n’y a pas de doute que cela en fasse partie… Je suis incroyablement fier de mon père, de tout ce qu’il a accompli et de l’héritage qu’il a laissé. Mais beaucoup de gens se souviennent de m’avoir vu grandir et cela crée aussi des connexions.

Mais ce que vous avez dit, « peut-être pas dans les halls d’universités », ce n’est pas quelque chose que je peux simplement ignorer.

C’est devenu quelque chose de fondamental pour moi, un point de repère pour mes forces également. Le fait que je puisse persuader et être un politicien efficace avec les jeunes en les impliquant, en les rendant fébriles, en mobilisant des milliers de bénévoles durant cette campagne, ça, ce n’est pas à cause du bagage du nom de mon père. Et pour moi c’est fondamental.

Q : Est-ce que vous sentez que vous faites partie d’une dynastie?

JT : Non. Je comprends le sentiment d’appartenance que les gens ont avec ma famille et l’association qu’ils font avec la politique canadienne, mais le propre des dynasties est le passage de titres héréditaires d’une génération à l’autre et il n’y avait rien d’héréditaire ou d’inévitable dans le fait que je me lance en politique ou que j’y réussisse. De la même façon que des fils de professeurs deviennent des professeurs et des filles de médecins deviennent aussi médecins et comme plusieurs autres enfants de politiciens se sont ensuite lancés en politique… c’est dû à l’expérience que l’on vit en grandissant dans un monde politique. Alors non, je crois que de parler d’une dynastie est la façon facile que les gens ont d’expliquer un phénomène beaucoup plus complexe qui a rapport avec le fait que, toutes choses étant égales, vous allez plutôt choisir la personne que vous connaissez pour une offre d’emploi, plutôt que la personne que vous ne connaissez pas. Mais une dynastie? Non.

Q : Comment trouvez-vous que vous avez évolué depuis 2008 (la première fois qu’il a été élu) et depuis que la couse à la chefferie est commencée?

JT : 2008 était une année d’apprentissage où j’ai dû démontrer mon éthique de travail et mon intérêt. Je savais qu’on s’attendait à ce que je dise « vous ne savez pas qui était mon père, vous devez me traiter comme ceci ou comme cela. » C’est pourquoi j’ai fourni beaucoup d’efforts pour me montrer humble et travaillant. J’ai parlé à tous mes collègues et je les ai écoutés. J’ai vraiment démontré que j’étais là pour aider. Je suis parti comme jeune homme avec beaucoup à apprendre et à un moment j’ai réalisé que j’avais beaucoup de choses à offrir qui sont plutôt rares dans le monde politique. Il y a eu un réel cheminement en ce sens pour moi, alors que j’ai évolué dans une sorte de délai très compressé, de simple député recrue d’opposition à simple député d’opposition candidat à la chefferie, je suppose (il rit).

Q : Pourquoi savourez-vous la position du négligé?

JT : Parce que je n’ai pas besoin que les gens me disent que je vais gagner, que je suis génial, toutes ces choses qui motivent un coureur de tête, les super résultats positifs, toute l’attention, ce sont toutes des choses qui m’importent peu. Je sais de quoi je suis capable et ça me garde occupé. Que ce soit pour Papineau ou lorsque je m’entraînais pour le combat de boxe ou pour cette course à la chefferie, si les gens choisissent de me sous-estimer, et bien cela rend mon travail encore plus facile parce ce qu’il y aura deux éléments de surprise : lorsque je vais commencer à livrer la marchandise et le fait qu’ils ont choisi de ne pas me voir venir de la bonne façon. Tout cela me donne un avantage. Alors, il est beaucoup plus facile d’être perçu comme le négligé et d’être sous-estimé que d’avoir défini de hautes attentes.

Q : Est-ce que vous aimeriez mieux être le négligé dans cette course?

JT : Je me sens tout de même à l’aise avec la façon dont les choses se produisent, parce que les gens ont semble-t-il décidé que c’était une erreur que je sois en train de gagner, que c’est parce que les Canadiens se sont fait embobiner par la chevelure ou peu importe ce que c’est et cela veut dire qu’ils rejettent tout ce que j’ai à dire.

Q : Pensez-vous que vos adversaires ont peur de vous ?

JT : Je crois que mes adversaires ont peur des gens qui réagissent à ma campagne. Ce qui les inquiète c’est que j’attire l’attention dans des communautés où ils ne croient pas que je devrais obtenir d’attention. Je crois que c’est une réelle préoccupation.

Q : Étiez-vous conscient des conséquences politiques du combat de boxe ?

JT : Bien sûr, bien sûr. Mais j’avais calculé que je ne pouvais perdre politiquement.

Q : Vous n’avez pas pensé une seconde que vous pouviez perdre ?

JT : Non. Je savais que j’allais gagner. Mais dans mon arrière-pensée il y avait quand même un calcul politique qui me disait, on ne sait jamais, il pourrait frapper un bon coup et ça pourrait mal tourner. Pendant le combat, le seul moment où j’ai pensé que je pouvais peut-être perdre était pendant ces 20 premières secondes de la première ronde où je ne réussissais pas à donner de coups et il me frappait très fort. Pour la première fois de mon entraînement, et je me suis entrainé contre d’autres boxeurs de sa taille, il a réussi à faire trembler mes genoux comme personne d’autre ne l’avait fait auparavant. Je me suis dit, tiens c’est vraiment intéressant, peut-être que c’était une erreur après tout. Et comme je me suis mis à penser cela, il a arrêté de me frapper et j’ai commencé à le ruer de coups et c’est pour cela que je souriais fièrement pendant le premier entracte.

Q : Derniers commentaires ?

JT : Dans mon approche de tout cela, dans mon approche politique… je suis très serein. Je crois sincèrement au soi-disant niveau puriste de la politique qui dit : voici qui je suis, si vous croyez que je pourrais être un bon représentant pour vous, si vous croyez que j’ai quelque chose à offrir à votre communauté et bien s'il vous plaît votez pour moi. Et si vous n’y croyez pas, alors ne le faites pas. Car cela ne me sert à rien d’essayer de faire semblant d’être quelqu’un que je ne suis pas juste pour être élu. J’ai le sentiment que je fais ceci parce que j’en suis capable, parce que je le dois, parce que je peux le faire, et si je réussis, tant mieux, cela voudra dire que j’ai beaucoup de travail à accomplir. Et si je ne réussis pas, cela voudra simplement dire que je n’étais pas la bonne personne pour le Canada. Et ce niveau de sérénité dans mon approche est extrêmement stimulant et réconfortant.

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TRADUCTION FRANÇAISE: Sophie Ferrandino

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