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Orange mécanique : frissonnante thérapie (CRITIQUE)

Orange mécanique : frissonnante thérapie
Courtoisie

Un classique réinventé pique toujours la curiosité. À cet égard, l'adaptation québécoise de l'œuvre-culte Orange mécanique, dont la première avait lieu jeudi, ne différait pas des autres exercices du genre; une douce fébrilité régnait dans le hall de l'Olympia à quelques minutes du lever du rideau. Les attentes ont-elles été comblées?

Disons simplement que l'intonation des murmures variait d'un spectateur à l'autre au sortir de la salle. Si certains reprocheront à la metteure en scène Véronique Marcotte et le directeur artistique Denis Bouchard le manque de nuances et de subtilité de leur proposition, d'autres applaudiront l'audace avec laquelle ils s'approprient certains tabous et loueront le jeu des acteurs, impeccable et irréprochable. Le divertissement est honnête, certes, mais peut-être pas incontournable.

L'histoire est connue : Alexandre DeLarge (Maxime LeFlaguais) et ses deux acolytes (ses « droogs »), Jo (Danny Gilmore) et Momo (Félix-Antoine Tremblay), errent dans la ville en n'obéissant à aucune loi, commettant petits larcins et gros méfaits au gré de leurs pulsions. Jusqu'au jour où les deux camarades d'Alex, las de l'attitude de tyran de ce dernier, le trahissent et le laissent se faire intercepter par les policiers, seul. Notre antihéros sera envoyé directement en prison, où il purgera une peine de deux ans. Mais il saisira une opportunité de s'échapper des barreaux lorsqu'on lui suggérera de se soumettre au traitement Ludovico. Pendant deux semaines, le garçon sera exposé à des visions d'une violence inouïe. Celles-ci l'amèneront à tisser, inconsciemment, des liens avec les démons de son propre passé.

Gloires et bémols

Drôle de date que le 14 février, jour de la fête des cœurs, pour lancer un spectacle aussi troublant et dérangeant. Mais les amoureux qui avaient envie d'une Saint-Valentin hors normes ont été servis, avec une fresque d'horreur entremêlant violence physique et psychologique et sexualité explicite, le tout enveloppé d'une réflexion plutôt sommaire sur les fondements du bien et du mal.

Sommaire, parce qu'on privilégie parfois la démesure au détriment d'une véritable pensée critique. Agaçante, cette manière de dépeindre la jeunesse comme une tare, que ce soit par un narrateur (Roger LaRue) qui assure les liens entre les différentes saynètes, ou encore par l'attitude même des trois adolescents, réduit trop souvent le propos à un préjugé bancal, alors que le texte original dégageait pourtant matière à cogitation, lors de sa parution, sous forme de roman (Anthony Burgess, 1962) et de long-métrage (Stanley Kubrick, 1971). Exagérées, les chorégraphies de bataille suscitent davantage l'étonnement que l'éblouissement, et les morceaux musicaux signés Danny Lutz, bien que riches, ajoutent à cet effet de disproportion. Et la langue excessivement poétique et soutenue, livrée avec un accent français qui fait s'égarer certaines répliques, en chatouillera à coup sûr plusieurs.

Par contre, il y a aussi de fort jolies choses dans ce difficile conte pour adultes. Dans la peau d'Alexandre DeLarge, Maxime LeFlaguais s'avère immense. Le comédien en impose avec ses gestes grandiloquents, son regard perçant, son aura qui semble effectivement dédiée au mal. Autour de lui, les autres interprètes, qui donnent vie à plusieurs personnages, tirent aussi fort bien leur épingle du jeu. Il faut aussi saluer le soin apporté aux costumes, et le mariage entre projections visuelles et action à l'avant-scène, qui se révèle heureux. On sent qu'on souhaitait habiller l'ensemble d'un enrobage visuel attrayant, et c'est réussi.

Surtout inspirée du livre de Burgess, l'Orange mécanique d'ici emprunte néanmoins de nombreux éléments au film de Kubrick, et c'est pourquoi les inconditionnels du titre seront sans doute intéressés à le découvrir sous un nouvel angle.

Pas pour tous

Très peu de bons sentiments transpirent de l'univers d'Orange mécanique. On est plutôt ici dans la méchanceté gratuite, la saleté pure, la noirceur d'où n'émane aucune lumière. Ne cherchez pas de traces d'humour ou de deuxième degré dans ces tableaux parfois cruels, il n'y en a pas.

Inutile, donc, de mentionner que la fiction ne s'adresse pas à tous les publics. On prend d'ailleurs garde de nous aviser, sur l'affiche officielle de la pièce, que celle-ci contient des moments de violence et de nudité. Et on tient parole; certains segments font grimacer et grincer des dents, comme ce viol sordide auquel s'adonne le trio de jeunes malotrus sur une pauvre femme (Marianne Thomas). Plus qu'évocatrice, l'image est marquante. Au final, le parterre a l'impression de sortir d'une bouleversante et choquante thérapie, sans toutefois réellement comprendre la raison d'être de celle-ci.

La troupe offrira des représentations d'Orange mécanique à Québec, Gatineau et Sherbrooke après avoir terminé son tour de piste dans la métropole. Pour informations : www.orangemecanique.ca ou www.tandem.mu.

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