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Zero Dark Thirty: Kathryn Bigelow s'explique sur Ben Laden, la CIA et la torture (PHOTOS/VIDÉOS)

Kathryn Bigelow: «La torture? Demandez aux politiciens»
AFP

Accusé par ses détracteurs de faire l'apologie de la torture, la réalisatrice américaine Kathryn Bigelow est venue à Paris défendre son film sur la traque d'Oussama Ben Laden, Zero Dark Thirty, en salles le mercredi 23 janvier. Accompagnée de son scénariste attitré, Mark Boal, ancien reporter de guerre en Irak, la cinéaste s'explique.

Dans une tribune publiée par le Los Angeles Times, elle écrivait déjà que "les experts ne sont pas d'accord sur les faits et détails de la chasse d'Oussama Ben Laden menée par les services de renseignement et le débat va sans aucun doute se poursuivre".

"Je pense qu'il a été trouvé grâce à un ingénieux travail d'investigation. Mais la torture, comme nous le savons tous, a été employée durant les premières années de la traque. Cela ne veut pas dire que cela a été la clé. Cela veut dire que c'est une partie de l'histoire que nous ne pouvons pas ignorer".

Le film est un récit de la recherche du leader d'Al-Qaïda par une unité des forces spéciales américaines et Maya, une analyste de la CIA obsédée par sa capture.

Kathryn Bigelow et Mark Boal sur le tournage:

Est-ce que vous vous attendiez à ces réactions?

Bigelow: Nous savions que la matière même du film était controversée. Nous sommes un peu surpris par l'ampleur des attaques et par leur écho mais la torture est un sujet de débats depuis 2002. Aujourd'hui, on ne parle pas d'anti-terrorisme sans toucher à ces thèmes-là. Il est impossible de ne pas aborder le rôle qu'a tenu la CIA depuis 10 ans. Mais en ce qui concerne la torture, c'est une question qu'il faut poser aux politiciens.

Boal: J'ai trouvé certaines réflexions démentes. Il n'y a pas plus idiot que d'accuser un artiste qui tente de retranscrire une histoire d'un parti pris aussi odieux. Certaines des critiques qui ont été adressées au film devraient être dirigées contre ceux qui ont ordonné ces politiques. Il faut savoir que décrire quelque chose ne signifie pas la soutenir. Sinon, beaucoup de projets artistiques ne verraient pas le jour.

Avez-vous eu peur que certaines images soient utilisées comme de la propagande?

Bigelow: Le choix de ne pas montrer Oussama Ben Laden vient surtout de ma volonté de me concentrer sur l'histoire de ces analystes et de ces agents qui ont oeuvré dans un but commun. Le film raconte leurs travaux. C'est une histoire de courage, de sacrifice, de dévouement et de détermination. Encore une fois, il aurait été illogique d'ignorer et de ne pas montrer le rôle de la torture dans la politique extérieure des États-Unis.

Boal: Cette question n'est pas juste. Kathryn a été très courageuse et elle a réalisé le film en ayant conscience de ses responsabilités. Depuis les photos d'Abu Ghraib, si des forces extrémistes veulent avoir un comportement violent avec le gouvernement américain ou les gouvernements européens, ils n'ont pas besoin d'autres prétextes pour le faire. C'est naïf de dire ça.

J'ai écrit un article dans Rolling Stones pour raconter que les Marines tuaient des civils afghans. On m'a plusieurs fois demandé si je comprenais que mon papier allait probablement déclencher des représailles. Mais la violence existait déjà avant moi. Des gens s'entretuaient et les Afghans savaient très bien que les soldats de l'US Army étaient coupables. Cette réaction c'est le premier argument d'un pays impérialiste qui voudrait contrôler l'information. C'est un raisonnement dangereux

Vous aviez commencé à écrire le film avant la mort de Ben Laden. Qu'est-ce que le raid a changé?

Bigelow: Mark travaillait sur un premier script qui décrivait l'échec d'une tentative de localisation d'Oussama Ben Laden quand nous avons appris la nouvelle de son décès. Nous avons donc décidé de repartir de zéro. Il y a toujours eu de fait une course contre la montre. C'était presque la même urgence que celle qui accompagne Maya dans son travail. À chaque fois qu'une piste s'éloigne, il y a un attentat à l'hôtel Marriott ou à Camp Chapman. Nous avons eu besoin de cette adrénaline pour raconter l'histoire de la même manière que la guerre en Irak avait encore lieu quand nous avons tourné mon précédent film, Démineurs.

Mark, votre expérience en tant que reporter de guerre joue-t-elle dans la manière de raconter ces histoires?

Boal: Il y a une grande différence entre écrire des articles sur les conflits, en Irak ou ailleurs et mon travail de scénariste. Je peux vous dire que ce sont deux choses distinctes même si dans les deux cas, on tente de faire passer des images à son lecteur. C'est pour ça que la présence sur le terrain est primordiale. J'ai passé plusieurs jours "embedded" avec l'armée et j'ai vu des choses qui m'ont inspiré, aidé à raconter des histoires. En un sens, nous nous construisons tous par rapport à nos expériences.

Maya, protagoniste principal, est une femme. Pourquoi refusez-vous d'être comparée à elle?

Bigelow: Parce que son personnage est un hommage composite aux agents féminins qui ont travaillé sur la traque de Ben Laden. L'actrice Jessica Chastain parvient à transmettre cette autorité parce qu'elle a une dualité naturelle: une sévérité et une douceur qui laisse entrevoir son humanisme. Je ne veux pas qu'on fasse le parallèle parce que nous avons compressé dix années de recherches en 2h30 de film. Et nous n'avons pas pu montrer le nombre réel de personnes qui ont participé à cette opération.

Bande-annonce de Zero Dark Thirty:

La cinéaste - récompensée par 6 Oscars pour son dernier film, Démineurs en 2010, est en lice cette année dans 5 catégories avec Zero Dark Thirty. Elle a rappelé dans le LA Times avoir toujours été "une pacifiste militante soutenant tous les mouvements contre l'utilisation de la torture, et, tout simplement, tous types de traitements inhumains".

Kathryn Bigelow ne reviendra pas sur le communiqué de CIA qui par le biais de son directeur Michael Morell, a critiqué le film: "il crée la forte impression que les techniques d'interrogatoire renforcées, qui faisaient partie de notre ancien programme de détention et d'interrogation, ont été des éléments clé pour trouver Ben Laden. Cette impression est erronée".

Elle juge que l'objectif était de "faire un film moderne et rigoureux sur le contre-terrorisme" avant de ponctuer sa tribune par un hollywoodien: "Ben Laden n'a pas été battu par des super-héros venus du ciel, il l'a été par des Américains ordinaires qui ont combattu courageusement."

Découvrez quelques images du tournage dans le diaporama ci-dessous:

Kathryn Bigelow

"Zero Dark Thirty" en quelques clichés

Et la filmographie de la réalisatrice:

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