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Réouvertures de l'école de Newtown, du cinéma d'Aurora, du World Trade Center... comment faire renaître le lieu d'un drame

Newtown, Aurora, World Trade Centrer... comment faire renaître le lieu d'un drame
AFP-Reuters-Wikipedia

PSYCHOLOGIE - "Ridiculement offensant." C'est ainsi que les familles des victimes du massacre d'Aurora (Colorado) ont qualifié l'invitation, par la chaîne de salles de cinéma Cinemark, à assister à la réouverture du multiplexe où s'est déroulé le drame en juillet 2012. Envoyée le 27 décembre, les familles estiment qu'en cette période de fêtes, Cinemark a rendu leur deuil "plus douloureux encore".

Manque de tact et mauvais timing, la réouverture du cinéma d'Aurora, où avaient été tuées personnes et 58 autres blessées en juillet dernier lors d'une projection du dernier "Batman", est évidemment l'exemple à ne pas suivre. Alors que les élèves de l'école de Sandy Hook ont fait leur rentrée jeudi 3 novembre, ces deux évènements posent la question de la réappropriation des lieux d'un drame. Comment réintégrer une école, une ville, un stade où s'est déroulée une catastrophe? En fonction de quels impératifs? Éléments de réponses à travers plusieurs exemples, de Columbine au drame du Heysel, en passant par les attentats du 11 septembre.

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Tuerie au Colorado

Protéger les victimes

Deux dimensions distinctes et pas nécessairement liées sont à prendre en compte. Et en premier lieu, celle de la victime physique et/ou psychologique du drame. Comme nous l'explique le psychiatre et psychothérapeute Dan Véléa, dans le cadre d'un traumatisme tout est susceptible de faire replonger la victime dans l'évènement traumatique, que ce soit un bruit, un odeur, mais aussi évidemment la confrontation au lieu du traumatisme. Ce lieu, seule une thérapie sur la durée permettra à la victime de se le réapproprier, si toutefois celle-ci le souhaite ou le peut.

À cet égard, la rentrée des classes de l'école Sandy Hook fournit un bon exemple de cette attention. Si la principale de l'école Janet Robinson parle d'une" rentrée normale", l'évènement n'a évidemment rien de normal. À commencer par le lieu puisque les élèves étaient attendus à la Chalk Hill Middle School, une école désaffectée, à quelques kilomètres de Newtown dans la commune de Monroe.

Les images du drame de Newtown compilées par nos collègues du HuffPost américain

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Connecticut State Police Release Sandy Hook Report

Sandy Hook Elementary School Shooting

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Certes le lieu a changé. Mais le nom de l'école a été maintenu. La Chalk Hill Middle School ayant été rebaptisée Sandy Hook. À leur arrivée, les élèves ont été chaleureusement accueillis, un coffret surprise contenant des cadeaux les attendant. Si les enseignants étaient présents, l'établissement n'accueillait pas uniquement les élèves mais aussi les parents, qui ont ainsi pu accompagner leurs enfants jusque dans l'école. Un geste évidemment tout aussi important pour eux.

"Lavage" symbolique

Qu'adviendra-t-il de la vraie école de Sandy Hook, celle où a eu lieu le drame? Seule l'histoire nous le dira puisque l'établissement est toujours sous scellés. À Columbine, par exemple, la bibliothèque de l'établissement où avaient été tués 12 personnes a été intégralement détruite après le drame pour laisser place à un mémorial. Symboliquement "lavé", le lieu a pu être l'objet d'une réappropriation.


De même au Norris Hall de Virginia Tech où Seung-Hui Cho avait tué 33 personnes en 2007. Immédiatement fermé pendant les mois qui ont suivi la tuerie, le lieu a été rouvert. S'il est toujours en utilisation, Virginia Tech a annoncé qu'il serait intégralement rénové et peu à peu vidé de ses salles de classes. Là encore donc, le lieu du drame est réinvesti après avoir été lavé de ses tâches.

En Belgique, le drame du stade du Heysel en 1985, du nom de ce stade situé à Bruxelles, a entâché le football européen. Il eut lieu à l'occasion de la finale de Coupe d'Europe des clubs champions 1984-1985 entre le Liverpool Football Club et la Juventus Football Club dont faisait partie Michel Platini. Un match, 600 blessés et 39 morts plus tard, le stade du Heysel fut conservé mais rebaptisé stade Roi-Baudouin, symbole d'unité s'il en est dans une Belgique fédérale. Michel Platini, lui, n'a jamais souhaité revenir dans le stade.


En France, c'est ce qui s'est passé à l'école juive Ozar Hatorah de Toulouse, devant laquelle Mohammed Merah avait tué un adulte et trois enfants juifs. À la rentrée 2011, l'école a été rebaptisée Ohr Torah. "Il ne s'agit pas d'oublier, mais de signifier, je pense, que quelque chose de nouveau commence", expliquait alors Nicole Yardeni, présidente du CRIF Midi-Pyrénées à nos confrères de La Dépêche.

Résilience et culpabilité

Au-delà des victimes et de leurs familles, la réappropriation du lieu touche la communauté et à un degré supérieur, l'ensemble de la société au sein de laquelle le drame a eu lieu.

Pour la chercheuse à l'École normale supérieure Magali Reghezza, codirectrice de l'ouvrage, Résiliences urbaines, les villes faces aux catastrophes, les réactions face à ces drames sont l'objet de différences largement déterminées par la culture. "Chaque société invente des façons de faire renaître le lien avec ses pratiques associées à la mémoire et à ses lieux" explique-t-elle. "Les américains sont des survivants, empreints d'optimisme, alors qu'en Europe, la mémoire est douloureuse."

Résilience : après un drame, on appelle résilience le phénomène psychologique qui consiste à prendre acte d'un phénomène traumatique pour se reconstruire. Popularisé par le neurologue et psychiatre Boris Cyrulnik, le terme s'est démocratisé si bien qu'on parle aujourd'hui de résilience pour des communautés.

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L'exemple type de cette résilience américaine, c'est évidemment Ground Zero. Une dizaine d'année après les attentats du 11 septembre, l'histoire parle d'elle-même. Un mémorial oui, mais une nouvelle tour, tout un symbole, à deux doigts d'être achevée. Les 100 000 emplois et 1,3 millions de mètres carrés détruits par l'effondrement des tours ne sont désormais plus qu'un mauvais souvenir. Mais peut-être plus important encore, la réappropriation du lieu du drame est l'occasion d'une renaissance et du grand récit culturel de cette renaissance.

23 images inoubliables du 11 septembre, compilées par nos collègues du HuffPost américain

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Unforgettable 9/11 Images

Unforgettable 9/11 Images

"Il s'ancre dans une trame culturelle profonde, que la géographe Julie Hernandez qualifie "d'optimisme de la catastrophe, héritage historico-religieux de la culture pionnière et d'un eschatologisme d'inspiration protestante, qui n'aime rien tant que l'imagerie résurrectionnelle, la rédemption et le triomphe après les épreuves, lus comme le signe d'une élection divine". En résumé, la catastrophe est certes un drame épouvantable, mais elle est aussi considérée comme une destruction créatrice, une opportunité de reconstruire en plus grand, plus fort, plus sûr, qui permet de montrer la valeur individuelle et collective de ceux qui ont été frappés jusque dans leur chair, mais qui font face, surmontent et s'améliorent." Magali Reghezza


Côté européen, on aurait au contraire tendance à effacer les traces. "Le mur des Fédérés à Paris, il faut chercher pour le trouver", plaisante la chercheuse. De la même manière, il aura fallu le roman de Pierre Assouline pour se rappeler de quoi l'hôtel parisien Lutetia avait été témoin pendant la Seconde guerre mondiale. "Notre histoire est empreinte de culpabilité et de repentance, on conserve la mémoire, mais des traces, on ne garde que le mininum, au mieux une plaque commémorative," explique la chercheuse.

Une plaque commémorative, c'est justement ce qu'on trouve au numéro 7 de la rue Nélaton, dans le 15è arrondissement de Paris. Détruit en 1959, c'est ici que se trouvait le Vel d'Hiv. Après la Seconde guerre mondiale, celui-ci continua d'accueillir matchs de boxes, défilés de mode, épreuves équestres et même la dernière corrida ayant eu lieu à Paris en 1949. Comble de la honte, en 1958, il accueillit un centre de rétention de citoyens algériens sur ordre du préfet de Paris nouvellement appointé. Son nom: Maurice Papon.

De l'optimisme américain ou de la repentance européenne, l'un vaudrait-il mieux que l'autre? "En Europe, cela nous fait mal de tirer les leçons du passé, aux Etats-Unis, ils ont tendance à trop tirer bénéfice des catastrophes," explique la chercheuse. "Aucun modèle n'est parfait," conclut-elle. À chacun ses défauts.

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