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«Je suis la mère d'Adam Lanza»: Réflexions sur la maladie mentale aux États-Unis

Témoignage de la mère d'un enfant atteint d'une maladie mentale
Courtesy of Liza Long

Cet texte a été publié originalement sur le blogue The Anarchist Soccer Mom, et republié dans The Blue Review. Nous l'avons traduit pour le public francophone.

L'horrible tragédie de vendredi dernier, qui a coûté la vie à 20 enfants et six adultes de l'École primaire Sandy Hook de Newtown, au Connecticut, soulève des questions troublantes. Partout à travers les États-Unis, les Américains sont encore une fois contraints de débattre de la violence qui afflige le pays. Celle étalée quotidiennement dans les médias, bien entendu; mais également celle découlant du culte des armes à feu, de la polarisation religieuse et politique, des guerres menées à l'étranger, des soins de santé publics insuffisants et de la façon d'élever les enfants.

Pour Liza Long, écrivaine établie à Boise, en Idaho, les armes à feu sont un sujet de conversation « facile » qui a tendance à occulter le problème de fond, c'est-à-dire la maladie mentale.

En effet, chaque famille peut subir les conséquences de la maladie mentale tôt ou tard. Nous ne saurons probablement jamais ce qui est arrivé à la famille Lanza, mais les histoires du même genre méritent d'être racontées. Les familles aux prises avec la maladie mentale ont besoin de notre aide.

Trois jours avant qu'un jeune de 20 ans nommé Adam Lanza ne tue sa mère et vide son chargeur sur une classe remplie d'enfants de maternelle, mon fils Michael (nom fictif), âgé de 13 ans, a raté son autobus scolaire, car il portait un pantalon de la mauvaise couleur.

« Je peux les mettre », répétait-il sur un ton de plus en plus agressif.

« Ce sont des pantalons bleu marine », lui ai-je répondu. « Le code vestimentaire de ton école est clair : tu dois porter des pantalons noirs ou kaki. »

« Ils m'ont dit que je pouvais porter ceux-là », a-t-il rétorqué. « T'es une maudite chienne ! Je peux porter les pantalons que je veux. On est en Amérique, et j'ai des droits ! »

« Non c'est faux. Tu ne peux pas porter ce que tu veux », lui ai-je répondu d'une voix calme. « Et je t'interdis de me traiter de chienne. Tu n'auras plus accès à la télé ni aux jeux vidéo pour le reste de la journée. Maintenant, monte dans la voiture, je dois te conduire à l'école. »

Mon fils souffre de maladie mentale. Je l'adore, mais il me fait peur.

Quelques semaines plus tôt, Michael a sorti un couteau de sa poche. Il a menacé de me tuer et de se suicider, parce que je lui avais demandé de rapporter ses livres en retard à la bibliothèque. Ses petits frères de 7 et 9 ans ont immédiatement appliqué la consigne de sécurité : ils se sont rués dans la voiture et ont verrouillé les portières avant même que je ne leur demande. J'ai réussi à récupérer le couteau de Michael puis à rassembler tous les objets pointus de la maison dans un gros contenant Tupperware que je garde désormais avec moi. Mais pendant que je ratissais la maison, Michael continuait de m'insulter et de proférer des menaces.

Cet épisode s'est terminé lorsque trois policiers costauds et un ambulancier l'ont attaché sur une civière pour l'emmener à l'urgence. Le département de psychiatrie n'avait aucun lit à lui offrir cette journée-là, si bien que Michael a dû se calmer dans la salle d'attente. Il est rentré à la maison avec une ordonnance de Zyprexa et un rendez-vous avec un pédopsychiatre.

Avec le temps, nos rencontres avec des travailleurs sociaux, des professeurs, des agents de probation et des administrateurs scolaires nous ont familiarisés avec les troubles du spectre autistique, le trouble du déficit de l'attention, le trouble oppositionnel avec provocation et le trouble explosif intermittent. Malheureusement, nous ne savons pas encore de quoi souffre Michael exactement. Notre fils a ingéré toutes sortes de neuroleptiques et de psychotropes, gracieuseté d'une industrie pharmaceutique byzantine, mais rien ne semble fonctionner.

Au début de sa septième année, Michael a été admis dans un programme accéléré pour élèves surdoués en mathématiques et en sciences. Son QI est de loin supérieur à la normale. Lorsqu'il est de bonne humeur, il s'intéresse à la mythologie grecque et à la série de science-fiction Doctor Who, de même qu'aux différences entre la physique d'Einstein et celle de Newton. En fait, je dirais qu'il est de bonne humeur la plupart du temps. Mais lorsqu'il ne l'est pas, son caractère imprévisible nous oblige à redoubler de vigilance.

Quelques semaines après avoir été admis dans sa nouvelle école secondaire, Michael a fait preuve de comportements de plus en plus étranges et agressifs. Nous avons dû le transférer dans une école pour « cas spéciaux », c'est-à-dire dans un environnement sécurisé où l'on garde les adolescents incapables de fonctionner en société, du lundi au vendredi de 7 h 30 à 13 h 50, jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 18 ans.

Le matin où nous nous sommes disputés au sujet des pantalons, Michael a continué à protester pendant que je le conduisais à l'école. Lorsque nous sommes arrivés dans le stationnement, il m'a dit : « Maman, je suis vraiment désolé, puis-je avoir accès à la console de jeu vidéo aujourd'hui ? »

« Pas question », lui ai-je répondu. « Tu ne peux pas agir de la sorte, et penser que tu vas t'en tirer à si bon compte. »

Son visage a pâli et ses yeux se sont emplis d'une rage calculée. « Je vais me suicider. Je vais sauter de cette voiture et me tuer. »

C'en était trop pour moi. Après l'incident du couteau, j'avais d'ailleurs averti mon fils qu'au prochain écart de conduite, nous irions directement à l'hôpital. Me rappelant cet ultimatum, j'ai fait demi-tour. Décision finale et sans appel !

« Où allons-nous ? », a-t-il demandé, l'air inquiet.

« Tu le sais très bien », lui ai-je répondu.

« Tu ne peux pas me faire ça ! C'est l'enfer là-bas. Tu m'envoies directement en enfer ! »

Je me suis stationnée directement en face de l'hôpital, en gesticulant pour attirer l'attention d'un employé qui prenait sa pause à l'extérieur.

Rendu à ce point, Michael était fou de rage. Il hurlait et me frappait. J'ai dû le retenir afin qu'il ne sorte pas de la voiture, mais il m'a mordu plusieurs fois et m'a donné des coups de coude dans les côtes. (Je suis encore un peu plus forte que lui, mais pas pour longtemps.)

Des gardiens de sécurité sont arrivés rapidement et ont transporté mon fils dans les entrailles de l'hôpital. J'ai commencé à trembler. Mes yeux se sont embués au moment de remplir l'inévitable formulaire : « Avez-vous éprouvé des difficultés... À quel âge votre enfant a-t-il commencé... »

Mon seul répit provient du fait que j'ai maintenant droit à des assurances collectives. En effet, je ne suis plus travailleuse autonome, et j'ai maintenant un poste régulier dans une université. Pour vivre avec un fils comme Michael, il faut des avantages sociaux en béton. Vous seriez prête à faire n'importe quoi pour les obtenir. Aucun régime d'assurance individuel ne couvre une situation comme la mienne.

Durant plusieurs jours, mon fils a prétendu que je mentais et que je cherchais à me débarrasser de lui. Au premier jour de son hospitalisation, il m'a dit au téléphone : « Je te déteste, je vais prendre ma revanche dès que je sors d'ici. »

Au troisième jour, j'ai retrouvé mon fiston adoré, calme et repentant. Malheureusement, ses promesses de bonne conduite sonnent creux. Je n'y crois plus.

Sur le formulaire de l'hôpital, une question a d'ailleurs attiré mon attention : « Quels résultats attendez-vous de ce traitement ? » Pour toute réponse, j'ai écrit : « J'ai besoin d'aide. »

Croyez-moi, j'ai vraiment besoin d'aide. Le problème que je vis est trop gros pour être géré individuellement. Cependant, il y a peu d'options sur la table. Je dois prier et garder espoir que tout s'arrangera.

Je partage cette histoire avec vous, car je suis la mère d'Adam Lanza. Je suis aussi la mère d'Eric Harris et de Dylan Klebold. Et celle de James Holmes, de Jared Loughner, de Seung-Hui Cho. Tous ces garçons - et leurs parents - ont besoin d'aide. Après la tragédie de Newtown, nous pouvons bien entendu parler de restreindre l'accès aux armes à feu. Mais selon moi, il est grand temps de parler de maladie mentale.

Selon le magazine Mother Jones, 61 meurtres en série impliquant des armes à feu ont eu lieu aux États-Unis depuis 1982. Sur ce total, 43 ont été commis par des hommes blancs, et un seul par une femme. Mother Jones a découvert que la plupart de ces tueurs avaient obtenu leur arme légalement. Or, ce triste bilan lié à la maladie mentale ne tient pas compte du nombre encore plus élevé de gens qui, comme moi, vivent constamment dans la peur.

Lorsque j'ai interrogé le travailleur social responsable de mon fils pour savoir quelles sont les options disponibles, il m'a suggéré de le faire inculper. « Lorsqu'il réintégrera le système, son casier judiciaire contiendra toute la documentation pertinente. C'est la seule manière d'obtenir des résultats concrets. Personne ne fera attention à votre fils s'il n'a pas fait l'objet d'accusations criminelles. »

Je ne crois pas que Michael mérite de se retrouver en prison. Un environnement aussi chaotique exacerberait sa sensibilité sans régler le problème de fond. Mais aux États-Unis, nous avons choisi de traiter les cas de maladie mentale dans le système carcéral. Selon Human Rights Watch, le nombre de personnes atteintes de maladie mentale dans les prisons du pays a quadruplé entre 2000 et 2006. Ce nombre continue d'augmenter à un rythme alarmant, si bien que la maladie mentale touche maintenant 56 pour cent des prisonniers. Ce taux est cinq fois plus élevé que dans la population vivant en liberté.

Avec la fermeture de nombreux hôpitaux et centres de traitement subventionnés par l'État, les prisons sont devenues le « terminus » des personnes souffrant de troubles psychiatriques. En 2011, la prison du comté de Los Angeles, la prison du comté de Cook (en Illinois) et Rikers Island (à New York) abritaient les cliniques les plus grandes au pays.

Personne n'a envie d'envoyer en taule un petit génie de 13 ans, fan de Harry Potter et d'animaux exotiques. Mais les préjugés à l'égard de la maladie mentale, conjugués à notre système de santé en décrépitude, ne nous offrent aucun autre choix.

Lorsque survient une tuerie dans un restaurant, un cinéma ou une école maternelle, nous avons pour réflexe de dire : « Il faut faire quelque chose ».

Oui, en effet, il faut faire quelque chose. Par exemple, lancer un débat national sur la manière de traiter la maladie mentale. Aborder ce problème de front sera la seule manière de guérir notre pays.

Mon Dieu, aidez-moi. Aidez Michael, et aidez-nous tous.

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