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Nulle part Nulle nullipare: un monde en gestation

Nulle part Nulle nullipare: un monde en gestation
Eric Cimon

Une danseuse peut-elle demeurer elle-même à l'arrivée d'un bébé? Quelles sont les limites? Peut-on espérer à un avenir artistique après l'accouchement ? Est-il possible de danser malgré les contraintes physiques d'un corps qui se transforme? Pour confronter les peurs associées à cette question maternelle, Catherine Lalonde, enceinte de sept mois, a décidé d'investiguer la chose sur les planches du Studio 303, à Montréal, avec Nulle part Nulle nullipare.

Journaliste et artiste québécoise reconnue, Catherine Lalonde a demandé a des anciens collaborateurs, les chorégraphes Marie Claire Forté et Jean-Sébastien Lourdais, s'ils accepteraient de travailler avec elle (dans deux chorégraphies distinctes) le concept du corps transformé par la grossesse. Les deux collègues ont accepté. Les 1er et 2 décembre 2012, Lalonde pouvait présenter Nulle part Nulle nullipare.

« À la base, c'est moi qui les ai approchés, explique Lalonde. J'avais beaucoup d'appréhensions en lien avec la grossesse et la danse. Je me suis finalement dit que la façon la plus créative d'affronter mes craintes serait de danser. Dans ce milieu, l'image codée et limitée (minceur, athlétisme, santé, standards visuels de beauté...) prend beaucoup de place. Le corps de la femme adolescente est souvent l'image véhiculée. Il n'y a pas beaucoup de place pour autre chose. J'ai voulu fouiller et proposer un autre aspect de la danseuse, de la femme que je suis. »

« Je pensais que la danse allait contrôler mon corps et c'est tout à fait le contraire, poursuit-elle. Je suis confrontée à la fatigue. J'étais naïve. Mon égo était très grand. Je réalise que je ne peux faire autrement que d'admettre le changement et m'y adapter. Cette démarche est devenue encore plus importante finalement. Je comprends aujourd'hui qu'il est difficile d'évoluer autrement que dans les standards esthétiques de danseuse. Ce n'est pas impossible, mais il faut faire de nombreux compromis, car je n'ai pas le corps qu'il faut pour danser en ce moment. »

Dans cette mouvance philosophique du corps qui s'adapte, les deux propositions (solo et en work in progress) chorégraphiées sont très distinctes. Celle de Marie Claire Forté exprime une série de petits rendez-vous, une métaphore de la difficulté d'une future maman à prendre conscience de sa grossesse. Le symbole de l'utérus étranger est abordé. Elle tente de sentir sa présence. Le ventre proéminent, la danseuse va et vient, cherche quelque chose. Elle murmure. Raconte qu'elle n'a pas établi de véritable dialogue : « Do we know each other ? » Dans un espace délimité, la femme est encline à l'écoute afin de favoriser l'inclusion. Celle d'un bébé, en l'occurrence.

Être différent

« Bien que les deux pièces ont une vocation expérimentale indéniable, Lourdais à quant à lui voulu aller dans quelque chose de très différent de la chorégraphie de Forté. C'est la méditation, la recherche d'une transformation physique et spirituelle, à la limite de l'animalité. »

La poitrine nue, le bedon bien rond, le corps de Catherine Lalonde est étendu au sol, immobile. Après une minute ou deux, ses membres bougent lentement et laissent émerger des grognements, des ronflements qui s'accentuent au point de devenir une sorte de chant de gorge inuit, de mantra. Le corps hanté par une présence, organique ou psychique, animal ou diabolique, est désarticulé, pétri de formes étranges. Sur la voix enregistrée d'un homme qui incite à la relaxation, à la détente, au pardon (divine forgiveness), la masse devient pourtant de plus en plus socialisée. Dans le processus, la femme enfile une robe noire et des talons hauts. Droite, encore quelque peu désorientée, elle saisit des sceaux métalliques remplis d'eau savonneuse. Dans un spasme incontrôlable, du fluide se retrouve au plancher... Les formes esthétiques s'apparentent au final à cette d'une femme urbaine régie par les codes de la modernité.

« Évidemment, ce n'est pas parfait. Nous explorons encore. Je ne suis pas convaincu notamment de l'efficacité du monologue dans la performance de Forté. Nous pourrons bien entendu, si nous proposons une suite dans l'avenir, faire des changements. C'est un fantasme peut-être, mais j'aimerais revisiter ces deux performances quand le bébé aura trois mois, et que j'aurai le ventre dégonflé. Ensuite, j'aimerais le faire quand l'enfant aura un an. J'hésite encore à l'inclure, mais je pense que serait bien de le mettre dans les sceaux, par exemple. Je verrai ce que le papa en pense (rires). Ce serait bien d'explorer ce rapport danseuse/mère sur une plus longue période. Son entité aurait alors certainement plus de place. Les spectateurs et moi-même devraient répondre à des possibles pleurs sur scène...»

D'une quinzaine de minutes au total, les deux créations étaient entrecoupées d'une courte présentation faite par Catherine Lalonde, question de tracer un trait entre les deux univers de Forté et Lourdais. Après celles-ci, le collectif Nébuleuse présentait Abîmes, une chorégraphie de 30 minutes qui réunit un compositeur musical, un photographe/vidéaste (Roby Provost-Blanchard) et trois danseurs (Frédéric Wiper, Jessica Viau et Audrey Rochette) qui explorent le thème de l'idéal inaccessible. Les artistes transportent l'audience au cœur d'un portrait fébrile d'un « nous » avide de sensations exaltantes. Trois humains s'endommagent, saccagent, s'épuisent et s'abîment.

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Catherine Lalonde

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