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WCIT: la conférence mondiale qui va décider dans l'ombre de la gouvernance d'Internet

La conférence mondiale qui décide en secret du sort d'Internet
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INTERNET - Et si le futur d'Internet était décidé, en ce moment, dans une salle fermée, où seuls les gouvernements ont droit de séjour, Russie et Chine en tête? Un scénario qui a tout de la théorie de la conspiration... et qui serait pourtant en train de se réaliser.

Depuis ce lundi 3 décembre et jusqu'au 14 décembre, les 193 Etats membres de l'UTI (Union internationale des télécommunications), une agence spécialisée de l'ONU, se réunissent à Dubai au sein de la Conférence mondiale des télécommunications internationales (WCIT).

L'objectif de cette réunion est de redéfinir les règles d'un traité datant de 1988, le RTI (Règlement des Télécommunications Internationales), sur lequel a été fondé Internet.

Une renégociation qui fait hurler certains acteurs des réseaux, Google en tête, mais aussi la plupart des associations s'occupant de promouvoir Internet. Ils affirment que cette renégociation devrait être publique. Pire: certaines orientations pourraient mener à une forme de censure d'Internet.

Un traité vieux de 20 ans

Pour comprendre, il faut revenir au début. En résumé, ce fameux traité a pour but de faciliter l'interconnexion des moyens de communication à l'échelle mondiale. En gros, l'idée consistait à mettre en place des règles simplifiant les connexions entre les réseaux des différents pays.

Sauf qu'en 1988, Internet n'en est qu'à ses balbutiements, et le RTI concerne surtout la téléphonie et la radiophonie. Ainsi, quelques années plus tard, le boom d'Internet sera seulement encadré par l'article 9 de ce traité, intitulé "arrangements spéciaux", qui "permet lʼéchange de certains types de trafic qui ne sont pas prévus dans le RTI", explique l'Internet Society, une des associations en faveur de l'ouverture d'Internet. En gros, ce traité a permis, par ricochet, de faciliter la diffusion mondiale du web, grâce à l'absence de contraintes.

Explications (en anglais) de l'Internet Society:

Internet n'est pas pour autant un territoire sauvage. Depuis, les principaux acteurs d'Internet ont mis en place des associations, des règles, des accords tacites permettant au réseau de s'étendre facilement dans le monde.

Main mise américaine

Mais ce cadre ne plait pas à tout le monde. Ainsi, de nombreux pays en voix de développement souhaitent que la gouvernance d'Internet soit gérée par l'ONU, via la renégociation de ce traité. Dans l'absolu, la logique semble louable: actuellement, les associations "contrôlant" Internet sont en majorité américaines, et il semble logique que d'autres pays craignent des dérives.

L'Icann, par exemple, qui s'occupe de gérer les noms de domaine (l'adresse d'un site Internet) du monde entier, est une association à but non lucratif, mais américaine. C'est grâce à cette main mise que les Etats-Unis ont pu fermer Megaupload si facilement début 2012.

La Russie et la Chine en pointe, Google parle de censure

Il semble donc logique qu'un premier ministre déclare, en juin 2011, vouloir "'un contrôle international d'Internet utilisant les capacités de l'UTI", sous mandat de l'ONU. Après tout, Internet est devenu un bien commun, avec plus de 2,3 milliards de personnes connectées. Il serait donc normal que l'ONU soit en charge de veiller sur la liberté du réseau.

Oui, mais... quand ce chef d'Etat est Vladimir Poutine, les associations de défense des libertés commencent à voir d'un mauvais œil une telle réunion à huis clos.

Car si plusieurs pays font bloc pour modifier le traité RTI, la Russie et la Chine semblent être en tête de peloton. Ce qui fait craindre aux associations de défense des libertés une volonté de censure.

Ainsi, Google écrit sur le site Takeaction, créé pour mobiliser les internautes contre ce traité:

Certaines propositions pourraient permettre aux gouvernements de censurer des propos légitimes, voire d'autoriser la coupure de l'accès à Internet. D'autres propositions envisagent d'imposer à des services tels que YouTube, Facebook et Skype des droits d'entrée pour pouvoir atteindre des utilisateurs à l'étranger.

En réalité, les modifications apportées au traité ne sont pas encore connues. Mais certaines réunions de l'ITU dans plusieurs pays ont donné lieu à des préconisations. Comme pour le traité sur le piratage Acta, ces documents ne sont pas censés être publics, mais plusieurs sites, comme WCITLeaks, publient ces données confidentielles.

Certains gouvernements auraient ainsi proposé d'augmenter la sécurité sur Internet pour lutter entre autres contre le terrorisme. Notamment en mettant en place un contrôle international des données relatives à la vie privée.

Atteinte aux libertés ou bataille économique ?

Pour autant, l'adoption des propositions au sein du traité se faisant par consensus, il reste peu probable que ces demandes aboutissent. En effet, la majorité des propositions concernent avant tout des problèmes techniques et économiques. Ce qui ne veut pas dire sans danger, rappellent les associations.

Par exemple, actuellement, les différents réseaux (fournisseurs d'accès Internet, fournisseurs de contenus comme Google, etc.) s'échangent leurs données gratuitement pour que l'utilisateur y ait accès le plus rapidement possible. Cela s'appelle le "peering", ou l'appairage. Mais certains pays souhaiteraient modifier ces règles, afin que l'échange ne soit plus systématiquement gratuit. Pour Google, un tel changement briderait l'accès à la connaissance de millions de personnes (et coûterait au moteur de recherche des millions de dollars).

De nombreuses propositions de ce types, dont certaines déposées par l'Etno, l'association des opérateurs européens, sont vivement critiquées par les associations de défense d'Internet. L'association française Quadrature du Net, née de la lutte contre Hadopi, a notamment dénoncé ces propositions économiques qui mettraient fin à la "neutralité du Net", une règle tacite qui implique une stricte égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet.

Mais ce qui est avant tout critiqué, comme pour le traité Acta, c'est le manque de transparence de ces négociations. L'Electronic Frontier Foundation (EEF), une des plus grandes associations de défense des libertés sur Internet, demande ainsi que le débat ait lieu publiquement, démocratiquement.

Un traité qui devra être ratifié par chaque pays membre

La France n'a de son côté pas encore précisé sa position sur ce sujet brulant, alors que le gouvernement s'interroge sur les moyens de taxer les géants du Web comme Google. Pour le moment, la ministre de l'Economie numérique Fleur Pellerin a simplement lancé une consultation publique à ce sujet.

Le parlement européen a de son côté déploré "le manque de transparence et d'ouverture qui entache les négociations" du WCIT, "alors qu'elles devraient aboutir à des résultats qui pourraient affecter substantiellement l'intérêt public".

Pour contrer cette fronde, l'ITU a publié en octobre un diaporama de 32 pages pour démentir les critiques qui lui sont adressées. Elle rappelle notamment que le traité, une fois validé, devra encore être ratifié par chaque pays membre pour entrer en vigueur. Un peu comme le traité anti-piratage Acta, qui avait été réalisé dans l'ombre... et avait fini par être rejeté au parlement européen début juillet.

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