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La commission entend le patron d'Excavations Panthère, André Durocher (DIRECT)

Le patron d'Excavations Panthère témoigne (DIRECT)
SRC

Un texte de François Messier

À la commission Charbonneau, André Durocher d'Excavations Panthère a expliqué comment Tony Conte de Conex l'a vraisemblablement empêché de soumissionner pour un contrat de reconstruction d'une conduite d'eau dans la rue Chabanel, à Montréal, en mettant de la pression sur l'entreprise qui lui offrait du cautionnement.

M. Durocher a expliqué qu'il s'apprêtait à déposer une soumission de 1,6 million de dollars pour ce contrat, le 3 décembre 2008, lorsque Pierre Papineau, de la firme Comerco Courtage Plus qui assurait ses équipements, a fait irruption dans ses bureaux peu après 6 h le matin.

« Il m'a dit: "André, on va se faire casser les deux jambes" », avant d'enchaîner: « Un, tu ne déposes pas [ton appel d'offres pour la rue] Chabanel, deux, je t'enlève ta caution, et trois, je t'enlève tes assurances de tous tes équipements si tu déposes » une soumission.

Selon lui, Pierre Papineau, qui était « agressif et nerveux », a évoqué le nom de Tony Conte de Conex, un entrepreneur aujourd'hui décédé et dont le nom revient très souvent à la commission Charbonneau. André Durocher dit qu'il ne connaissait pas Tony Conte.

André Durocher a affirmé qu'il ne pouvait plus soumissionner pour ce contrat. Pierre Papineau, a-t-il précisé, était reparti de son bureau en emportant avec lui la feuille confirmant que Panthères Excavation avait le cautionnement requis pour le contrat.

Le cautionnement est une garantie qui est offerte au donneur d'ouvrage, la Ville de Montréal dans ce cas-ci. Sans ce document, la soumission d'Excavations Panthère n'aurait même pas été valide.

Conex a finalement obtenu le contrat avec une soumission de 1,83 million de dollars.

M. Durocher avait précédemment expliqué qu'il avait été inlassablement harcelé au sujet de son contrat dès qu'un employé de sa firme avait mis les mains sur les documents d'appels d'offres à la Ville de Montréal.

Il avait reçu de nombreux appels à ce sujet, auquel il ne répondait pas, et même la visite de deux hommes venus à son bureau dans une Cadillac noire. Ces derniers lui avaient donné un numéro de téléphone en insistant pour qu'il le compose, ce qu'il n'a pas fait.

Avant M. Durocher, la commission Charbonneau avait appelé Pierre Papineau à la barre des témoins pour parler en particulier de ce contrat. Ce dernier avait expliqué qu'il assurait les équipements de M. Durocher, mais que son cautionnement était fourni par un associé, Michel Leduc.

Pierre Papineau avait déclaré à la commission qu'il avait reçu en décembre 2008 un appel de son associé Serge Poirier, qui faisait le cautionnement pour l'entreprise Conex de Tony Conte. M. Poirier voulait savoir si M. Durocher avait l'intention de soumissionner sur le projet de la rue Chabanel à Montréal.

M. Papineau a raconté qu'il n'avait jamais reçu une demande du genre de toute sa carrière, mais qu'il a tout de même téléphoné à M. Durocher à ce sujet, parce qu'il savait que « M. Conte faisait partie d'un groupe » et craignait qu'il n'y ait des « problèmes pour [Durocher] et pour ses équipements ».

Pierre Papineau raconte qu'il a demandé à André Durocher s'il entendait soumissionner, mais ne s'est pas souvenu d'avoir obtenu une réponse. Il affirme lui avoir rappelé qu'il travaillait généralement dans « son coin », sur la Rive-Nord de Montréal, plutôt qu'à Montréal et qu'il s'était déjà fait incendier de l'équipement.

M. Papineau n'a cependant jamais évoqué la rencontre du 3 décembre 2008 dans les bureaux d'Excavations Panthère.

De l'avantage d'être lié à une firme de génie

Le témoignage d'André Durocher a aussi permis de jeter un éclairage sur des cas de collusion dans les municipalités de la Rive-Nord de Montréal. Selon lui, ces marchés sont devenus « fermés » après que des entrepreneurs actifs à Montréal, dont Infrabec, eurent entrepris d'y soumissionner vers 2002.

Les marchés de Montréal et de Laval, a-t-il dit, étaient déjà fermés par certains entrepreneurs « très très agressifs ». Selon lui, il recevait des appels dès qu'il allait chercher des documents d'appels d'offres dans ces deux villes. On lui disait alors: « "tu ne soumissionnes pas, tu n'as pas d'affaire là" ».

Corroborant des informations déjà distillées par l'ex-propriétaire d'Infrabec Lino Zambito, André Durocher a raconté que seuls les entrepreneurs qui étaient associés à des firmes de génie-conseil proche de la Ville pouvaient y travailler convenablement.

À Blainville, a-t-il dit, une firme de génie pouvait, par exemple, exiger qu'un entrepreneur utilise des tuyaux de L'Écuyer et fils. Les entrepreneurs qui n'avaient pas d'entente particulière avec cette firme se retrouvaient ainsi exclus d'entrée de jeu.

Il a aussi dit qu'un entrepreneur qui n'était pas associé à une firme de génie-conseil avait automatiquement « le laboratoire sur le dos ». Ce laboratoire, mandaté par les firmes de génie, pouvait ainsi se mettre à exiger des taux de compaction du sol beaucoup plus élevés que prévu, ce qui retardait considérablement l'avancée des travaux.

« Un laboratoire peut te donner de la misère comme il peut donner un bon coup de main », soutient André Durocher.

C'est grâce à de telles ententes, a dit André Durocher, que, depuis 2002, Mascouche est en quelque sorte une municipalité attitrée à Normand Trudel, Blainville, à CJRB et Doncar, Saint-Jérôme, à l'entreprise 4 Saisons et Lachute, à ABC Rive-Nord et CJRB.

M. Durocher a aussi raconté qu'il avait beaucoup de difficultés à exécuter un contrat de 2,7 millions de dollars qu'il avait décroché à Lachute. Il soutient que quand il a obtenu le contrat, un ingénieur de la firme LBHA, Steve Chaumont, l'a appelé pour le mettre en garde.

« Il m'a dit : "André, on vient de recevoir un téléphone. Un, tu n'es pas le bienvenu, et deux, on a reçu l'ordre de te crever à Lachute" », a raconté le témoin. M. Durocher a cependant eu de bons mots pour la firme LBHA, qui ne lui a jamais mis des bâtons dans les rues.

André Durocher dit en outre qu'une firme de génie pouvait s'organiser pour faire annuler un appel d'offres pour repousser un entrepreneur dont elle ne voulait pas. Il dit que cela lui est arrivé dans un projet de la municipalité de Saint-Janvier.

Selon le témoin, Michel Lalonde, du groupe Séguin, l'a notamment menacé d'annuler un appel d'offres qui était réservé à son frère Yves Lalonde, qui venait de démarrer une entreprise avec Joe Borsellino.

M. Durocher dit qu'il a remporté l'appel d'offres, et que celui-ci a bel et bien été annulé.

Au fil des années, André Durocher dit avoir été harcelé, intimidé, et que ses équipements ont été vandalisés. Il soutient que son frère Denis s'est fait frapper au visage par un individu équipé d'un poing américain, ce qui lui a valu trois fractures et un arrêt de travail d'un an.

Il soutient qu'il a dénoncé certaines de ces actions à la police, mais qu'aucune d'entre elles n'a été élucidée.

Mis en cause par Zambito

André Durocher a par ailleurs fermement nié avoir trempé dans des pratiques collusoires. « Je n'avais pas d'intérêt à embarquer là-dedans. Ça ne m'intéressait pas », a-t-il dit, en précisant que tous les nombreux membres de sa famille actifs dans la compagnie étaient du même avis.

Il soutient en outre n'avoir payé aucune ristourne à quiconque. « On a été élevé de même. [...] Mes parents [également entrepreneurs] ne payaient pas, moi je n'ai pas payé et mes enfants ne paieront pas non plus. C'est une question de principe », a-t-il affirmé.

Le 4 octobre, l'ex-propriétaire d'Infrabec Lino Zambito avait expliqué à la commission qu'André Durocher et son frère avaient réuni de 15 à 20 entrepreneurs dans un hôtel de Blainville en mai 2008 pour mettre sur pied un système de collusion.

Des représentants d'Infrabec, de Doncar, de Pavage 4 Saisons, de G. Giuliani, de Poly Excavation et de Civex étaient notamment présents, selon lui.

D'après Lino Zambito, André Durocher et son frère « ont commencé à parler du fait que les entrepreneurs, on devait se tenir puis éviter un peu, sur la couronne Nord, de se déchirer comme on le faisait tout le temps ».

« Puis, M. Durocher a commencé à sortir la liste des appels d'offres qui étaient en cours dans le prochain mois, ce qui était public. Et il a commencé à demander aux entrepreneurs lesquels avaient des intérêts pour tel ou tel projet. [...] Il commençait à dispatcher des jobs pour que chacun ait un contrat », a-t-il poursuivi.

Selon Lino Zambito, le stratagème a fonctionné deux ou trois mois, notamment à Mirabel, à Blainville et à Saint-Jérôme, mais sans plus.

L'ex-propriétaire d'Infrabec a expliqué que l'affaire ne pouvait pas tenir parce que Durocher n'avait pas invité d'importants entrepreneurs, comme ABC Rive-Nord, Asphalte Desjardins et Simard-Beaudry, à se joindre au groupe.

Ces entrepreneurs, a-t-il dit, n'auraient jamais accepté de se « tasser » de certains contrats au profit des membres de ce groupe.

Lino Zambito avait en outre fait valoir qu'il avait trouvé cette démarche fort malhabile, puisqu'elle se déroulait de façon trop ouverte, et devant beaucoup trop de témoins qui ne se connaissaient pas toujours.

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