Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Fin du monde le 21 décembre 2012: pourquoi on aime croire à l'apocalypse annoncée par le calendrier Maya

Pourquoi on aime tant croire à la fin du monde?
Alamy

PHILO - Plaidons coupable. En nous offrant une certitude, l'apocalypse nous facilite la vie. Le monde ne disparaîtra pas plus le 21 décembre 2012 que les prophéties de l'an 1000 (ou de l'an 2000) ne se sont réalisées, et pourtant... devant l'évènement nous faisons preuve d'une crédulité médiévale, certes empreinte d'une touche d'amusement.

Des illuminés racontent qu'un village de l'Aude survivra à la fin du monde et il n'en faut pas plus pour que les médias s'emballent. Dernier épisode en date, l'annonce par le préfet de l'Aude de la fermeture du site du pic de Bugarach quelques jours avant et après la date fatidique. En 2010, le maire avait déjà dit qu'il en appellerait à l'armée. Dans l'Aude, le délire de quelques uns a imposé aux pouvoirs publics de prendre des mesures radicales, signe que quelque chose ne tourne vraiment pas rond.

Lire aussi:

On pourra accuser les médias, dire que c'est eux qui font tout ou que l'apocalypse fournit un bon prétexte à remplir grilles de programmes et autres colonnes des journaux. On aurait tort. S'il y a une offre, il y a aussi une demande, sans parler d'une actualité réelle. À cet égard, l'apocalypse relève du phénomène de société, au même titre qu'un fait divers.

"L'apocalypse, c'est le prototype du buzz", explique le philosophe Michaël Foessel, auteur de l'essai Après la fin du monde - Critique de la raison apocalyptique (Seuil). "Tout le monde est concerné, c'est un phénomène qui crée de l'égalité puisque par définition, personne ne peut y échapper", analyse-t-il. "La fin du monde permet de rendre égale une expérience particulière: celle de la mort".

2012, le film de Rolan Emmerich qui a popularisé la prophétie Maya

"En Amérique du sud, tout le monde s'en fout"

L'apocalypse, c'est donc avant tout un sujet de philo. Mais pour celui qui s'est d'abord intéressé aux discours catastrophistes des Etats, dont l'objectif est de préserver le monde face au contre-modèle de la catastrophe, pour penser la fin du monde, il faut d'abord pouvoir "penser le monde". À cet égard, pour le philosophe parler de l'apocalypse traduit non pas la crainte de la fin du monde dans son intégralité, mais bien de la fin de "notre monde".

Crise, émergence de nouveaux champions dans le jeu économique, l'apocalypse ne serait rien d'autre qu'un discours du déclin. "En Amérique du sud, tout le monde s'en fout de l'apocalypse, ça les fait bien rigoler", raconte le philosophe pour qui le catastrophisme ambiant n'a pu triompher que parce que le thème du progrès s'est affaibli. "L'avenir est décrété comme étant angoissant, terrifiant, on dit qu'il sera nécessairement moins satisfaisant que le présent, le catastrophisme a triomphé de l'idée de progressisme".

Sous les pavés, l'apocalypse

Le progressisme, ou l'idée que demain vaut mieux qu'aujourd'hui, n'est pas le progrès. "Finalement, le progrès c'est l'idée simple que l'avenir puisse être tout simplement ouvert", nuance Michaël Foessel. Or, aujourd'hui, il semble véritablement bouché. À cet égard, le légendaire pessimisme des Français ne pouvait fournir qu'un terreau favorable à l'engouement apocalyptique. En septembre dernier 68% d'entre eux se disaient pessimistes pour leur avenir.

Mais pour qu'il y ait progressisme, il faut qu'il y ait eu progrès. "Le progressisme naît en opposition au catastrophisme post-révolutionnaire", explique Michaël Foessel. Au lendemain de la Révolution, les héritiers de l'Ancien régime voient le mal partout, alors que toute l'Europe s'apprête de rentrer dans une nouvelle ère politique. "Finalement, notre situation n'est pas différente de celle du lendemain de la Révolution", analyse le philosophe.

Question illusions perdues, l'actualité de l'apocalypse rejoint l'actualité culturelle. Dans son dernier film, Après mai, le réalisateur Olivier Assayas revient sur une jeunesse passée à espérer changer le monde au lendemain de mai 68, sans aucun résultat. À défaut de révolution, autant opter pour la destruction.

Argument marketing

Expression d'une société sans idéologie, l'apocalypse, c'est aussi ce phénomène new age qui a vu l'émergence des sectes. Derrière le discours sur la fin du monde, il y a ceux qui vont vraiment y croire, ou qui voudront que vous y croyez. "L'apocalypse, c'est presque un argument marketing pour les gourous", explique la sociologue Romy Sauvrayre. Certains adeptes y croient vraiment. On les appelles les "survivalistes".

Pendant plusieurs mois, Romy Sauvaire a recueilli la parole de 48 individus sortis de mouvements sectaires. "Il n'y a pas de profil type", explique-t-elle, "les adeptes de l'apocalypse ne sont ni fous ni irrationnels, certains sont même dotés d'une solide formation intellectuelle".

On adhère parce qu'on a de bonnes raisons d'adhérer, de bonnes raisons d'y croire. Comme en matière de théories du complot, on voit ce qu'on croit, et le doute ne fait que renforcer la croyance.

Industrie de l'apocalypse

"Le phénomène touche toutes les couches de la société", affirme Georges Fenech. Président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires entre 2008 et 2011, il a remis un rapport au Premier ministre sur la question de l'apocalypse il y a deux ans. Il parle aujourd'hui d'une véritable "industrie de l'apocalypse". Si pour lui, ces dérives sectaires sont aussi le signe d'une société en crise, "avec Internet, on atteint un niveau d'interrogation jamais vu auparavant".

L'apocalypse a beau avoir un côté ludique, le drame n'est jamais loin. En 1996, on dénombrait 16 morts dans le Vercors au cours de ce qui restera dans l'histoire comme le drame de l'Ordre du Temple solaire. Les sectes n'auront pas attendu le film de Roland Emmerich pour en parler, et s'en servir comme d'un produit d'appel. Ironie du mythe, "on voit aussi des gourous qui refusent d'y croire, et qui se font dépasser par des adeptes qui les sollicitent sur la question", conclut Romy Sauvaire.

INOLTRE SU HUFFPOST

Le réchauffement climatique

Fin du monde le 21 décembre 2012: pourquoi on aime croire à l'apocalypse annoncée par le calendrier Maya-from-mt-263896

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.