Vendredi, Gilles Vaillancourt a donné sa démission comme maire de la Ville de Laval, après des mois de controverse. La Presse a fait enquête sur l'un des endroits qui ont fait l'objet de perquisitions par la Sûreté du Québec (SQ), en octobre, soit la tour de condos du chemin des Cageux. En voici le troublant compte rendu.

La tour dans laquelle Gilles Vaillancourt a réservé un appartement de luxe, à Laval, a bénéficié de changements de zonage qui ont permis de presque doubler la hauteur de l'immeuble, a appris La Presse.

En 2003, le terrain vague du chemin des Cageux, près de l'île Paton, a été séparé d'une zone qui autorisait seulement des immeubles d'un maximum de huit étages. L'administration Vaillancourt a créé une zone spécifique pour le projet et a progressivement permis d'en faire passer la hauteur de 8 étages en 2003 à 15 étages en 2009, moment où la construction a commencé.

Le 5 octobre, l'escouade Marteau a fait irruption dans la tour du chemin des Cageux, du promoteur Elias Khoury, baptisée Parc Regency. Les policiers de la SQ ont fait une perquisition dans un appartement terrasse (penthouse) du 15e étage. Ils cherchaient des documents pour étayer leur enquête sur le maire Vaillancourt. Selon nos informations, la SQ étudie notamment l'hypothèse d'un avantage donné en échange d'un changement de zonage de l'immeuble.

L'appartement terrasse de l'ex-maire s'étend sur deux étages, les 14e et 15e, fait 4060 pieds carrés et offre une vue magnifique sur la rivière des Prairies. Il a été acheté non fini en septembre 2010 pour un million de dollars.

Officiellement, il est détenu par la cousine de l'ex-maire, Ginette Vaillancourt, mais tout laisse croire que cette dernière aurait agi comme prête-nom du maire, selon nos informations.

Des sources disent avoir souvent vu le maire sur le chantier de l'appartement en 2011, mais également au début de 2010, soit plusieurs mois avant sa vente officielle, en septembre 2010. La femme de Gilles Vaillancourt a d'ailleurs choisi les couleurs et les éléments de décoration du logement, tandis que le maire a fait ajouter une verrière et un ascenseur à l'intérieur pour circuler entre les deux étages, selon nos sources.

Sa cousine détient aussi l'appartement adjacent à celui de l'ex-maire de Laval. Le porte-parole de Ginette Vaillancourt, Gilles Corriveau, affirme qu'elle n'est pas un prête-nom pour l'ex-maire. L'appartement a plutôt été loué à son cousin Gilles, dit-il, et Mme Vaillancourt disposerait des factures pour le démontrer.

Changement de zonage

Sur place, La Presse a pu constater que la tour détonne dans le secteur. Aucun autre immeuble n'est aussi haut. De part et d'autre, les immeubles font huit étages ou moins, tandis qu'en face, les rues sont bordées de maisons unifamiliales.

Ivan Mihajlovits était l'architecte d'origine du projet, en 2004. «Ils n'ont pas construit le projet que j'avais dessiné, qui faisait 10 étages [en 2005]. Ils ont changé les règlements de zonage pour l'adapter au nouveau projet», a expliqué M. Mihajlovits, qui trouve aujourd'hui «misérable» l'architecture du Parc Regency.

En 2005, l'augmentation de la hauteur de la tour a été acceptée dans le cadre d'un Plan d'intégration architecturale, selon des documents de la Ville. Pourtant, ce genre de disposition a plutôt pour but «d'assurer la bonne insertion de nouvelles constructions de manière à ne pas rompre l'équilibre des lieux».

«Aucune faveur»

L'administration Vaillancourt donne d'ailleurs des balises pour évaluer tout projet pour le terrain de la rue des Cageux. L'un des principaux critères est d'«harmoniser la hauteur de tout bâtiment à celle des bâtiments voisins de manière à créer une ligne d'horizon régulière», tout en «maximisant les vues sur la rivière».

Joint au téléphone, le promoteur Elias Khoury soutient qu'il n'a jamais versé de faveur en échange d'un changement de zonage. Il est apparu comme copartenaire du projet après 2005.

Votre projet a-t-il eu besoin de changements de zonage? «Non, non, monsieur. Allez vérifier à la Ville. Je n'ai eu aucune faveur de la Ville. C'est confirmé à 100%. [...] Je n'ai jamais rencontré M. Vaillancourt», assure l'homme d'affaires.

Elias Khoury affirme toutefois avoir vu Gilles Vaillancourt et sa femme au Parc Regency. «Ils venaient donner des conseils à sa cousine [pour l'aménagement de l'appartement]», dit-il.