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Des appels d'offres presque tous truqués, explique Gilles Surprenant

La commission fera le détail des pots-de-vins reçus par Surprenant
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Un texte de François Messier

L'ex-ingénieur de la Ville de Montréal Gilles Surprenant a commencé à détailler mardi devant la commission Charbonneau les différents pots-de-vin qu'il a reçus dans le cadre de contrats qu'il a contribué à préparer au cours des années 2000.

Le procureur de la commission Denis Gallant lui a présenté 64 appels d'offres dans le cadre desquels il serait intervenu au profit d'un cartel d'une dizaine d'entrepreneurs spécialisés dans les canalisations. Le témoin a confirmé que 61 d'entre eux avaient été truqués.

Vingt-sept autres soumissions préparées par M. Surprenant seront passées en revue mercredi.

Pour les 61 contrats arrangés entre 2000 et 2005, Gilles Surprenant estime avoir reçu au moins 483 000 $ (en incluant deux abonnements annuels pour les matchs du Canadien de Montréal évalués à 12 000 $) de la part d'entrepreneurs membres du cartel, soit :
  • Joe Borsellino, de Construction Garnier
  • Lino Zambito, des Constructions Infrabec
  • Tony Conte, de Conex Construction routière
  • Paolo Catania, de Construction Frank Catania et Associés
  • Antonio Catania et Paolo Catania de Construction Catcan
  • Domenico Arcuri ou Dominic Cammalleri de Mirabeau Construction
  • Antonio Bentivegna de Bentech
  • Francesco Capello des Excavations Super
  • Domenico Aloisio, de Construction A.T.A.
  • Joey Piazza de TGA Montréal

Les sommes reçues par Gilles Surprenant étaient toujours inférieures à 1 % de la valeur des contrats. L'ex-ingénieur a estimé que sa ristourne avoisinait plutôt les 0,5 % en moyenne.

À trois reprises, M. Surprenant a dit avoir reçu une somme de 22 000 $. Joe Borsellino lui a notamment remis cette somme à deux reprises : une première fois pour un contrat de 3,7 millions de dollars, une seconde fois pour un contrat de 5,5 millions. Le troisième 22 000 $ lui a été remis par Lino Zambito pour un contrat de 3,78 millions.

Dans de rares cas, la ristourne reçue avoisine effectivement le 1 %. M. Surprenant dit par exemple avoir reçu 3000 $ d'Antonio Bentevegna pour un contrat de presque 340 000 $ et 4000 $ de Tony Conte pour un contrat de 460 000 $ remporté par Pavages Hampstead. Cette firme appartenait au fils de Tony Conte.

La semaine dernière, l'ingénieur qui a longtemps été responsable des plans et devis dans le domaine des canalisations avait admis avoir reçu de 580 000 $ à 600 000 $ dans les années 90 et 2000 pour sa participation au système de collusion.

Il a précisé mardi en fin de journée que cette somme excluait les autres avantages qu'il a reçus au fil des années, qu'il s'agisse d'invitations à des soupers ou à des parties de golf.

Silence radio sur la hausse des coûts

Gilles Surprenant a par ailleurs réitéré que malgré le fait que les contrats de la Ville de Montréal étaient gonflés de 30 % à 35 % au milieu des années 2000, personne ne lui a jamais posé de questions à ce sujet.

« Je n'ai pas été témoin de quelque moyen que ce soit qui aurait été pris pour peut-être enrayer le phénomène », a-t-il dit. « Pour moi, ça aurait pu arrêter immédiatement et ça aurait été parfait », a-t-il soutenu.

Les employés de son département, a-t-il encore dit, savaient tous que les entrepreneurs qui présentaient des soumissions étaient toujours les mêmes, incluant les supérieurs, mais personne n'a fait quoi que ce soit à ce sujet.

Gilles Surprenant a par ailleurs confirmé qu'il savait que la maison de Luc Leclerc était située à côté de celles de Frank Catania et de son fils Paolo à Brossard. Il s'agissait d'une « belle maison », qui « fittait dans le décor », a-t-il précisé.

Le procureur Gallant a demandé au témoin s'il savait qui avait payé cette maison ou qui aurait pu faire son solage. L'ex-ingénieur a dit n'avoir aucune information à ce sujet. Il a cependant admis qu'il ne « voyait pas comment il aurait pu se procurer une maison comme celle-là ».

Le témoignage de M. Surprenant a aussi permis d'apprendre qu'il avait préparé les plans et devis pour tous les contrats accordés dans le cadre du développement de la Cité du multimédia à Montréal.

Des contrats ont aussi été truqués dans le cadre de l'Opération 5000 logements, qui visait la construction d'autant d'habitations à loyer modique. Le gouvernement du Québec finançait en partie ce projet.

Des contrats exécutés dans le cadre du programme d'infrastructures Canada-Québec ont aussi été truqués.

Peu avant la reprise du témoignage de M. Surprenant, le parti Équipe Tremblay-Union Montréal du maire Gérald Tremblay s'est vu accorder le statut de participant à la commission. Sa participation sera limitée aux questions relatives au financement des partis politiques et à l'octroi des contrats publics dans le domaine de la construction à Montréal.

Dix collusionnaires actifs à partir de 2000

L'ex-ingénieur a déjà expliqué qu'il avait gonflé les estimations pour divers projets au bénéfice d'un groupe constitué des compagnies ATA, ATG, Bentech, Super Excavations, Mirabeau Construction, Garnier Construction, Construction Frank Catania et Associés, Catcan, Conex et Infrabec.

Gilles Surprenant a expliqué que le système avait pu être mis en place à partir de l'an 2000, au moment où la liste des soumissionnaires intéressés par des projets a été rendue publique. Cette décision, a-t-il dit, permettait aux collusionnaires de se concerter.

Le système de collusion qui a alors été mis en place a fonctionné tant et si bien que les travaux de construction se sont rapidement mis à coûter 35 % plus cher à Montréal que dans d'autres villes de taille comparable.

Selon Gilles Surprenant, cette hausse s'appliquait non seulement au domaine des canalisations, mais aussi à ceux du pavage et des trottoirs. Cela a été rendu possible grâce à la complicité de ses deux supérieurs immédiats, Yves Themens et Robert Marcil, qui étaient assurément au courant de la situation, a dit le témoin.

En échange de sa contribution au système, l'ex-ingénieur recevait des montants forfaitaires de quelques milliers de dollars, ou d'autres avantages, comme des invitations à des soupers ou des parties de golf, des billets de hockey, des billets pour un spectacle de Madonna ou des bouteilles de vin.

Il a aussi admis avoir été invité à deux reprises à jouer au golf par l'entrepreneur en construction Tony Conte, de la firme Conex. Les deux autres membres du quatuor étaient son ami et confident Luc Leclerc, ingénieur chargé des travaux à la Ville de Montréal, et le parrain de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto.

M. Surprenant a aussi affirmé que Luc Leclerc l'avait informé qu'une ristourne équivalant à 2,5 % de la valeur des contrats truqués par le cartel était versée à la mafia sicilienne, et qu'une autre tranche de 3 % était destinée au comité exécutif de la Ville de Montréal.

L'ex-entrepreneur en construction Lino Zambito avait également fait référence à cette ristourne de 3 %, mais en soutenant qu'elle était plutôt destinée au parti du maire Gérald Tremblay, Union Montréal.

Gilles Surprenant a cependant démenti qu'il recevait lui-même 1 % de la valeur des contrats truqués. Il affirme qu'il recevait plutôt une somme forfaitaire qui était toujours inférieure à ce pourcentage, généralement de l'ordre de quelques milliers de dollars.

« En pratique, le 1 % n'a jamais existé. Ce n'était pas fixe. Ça variait d'un entrepreneur à l'autre, et ça variait d'un contrat à l'autre », a-t-il dit. « De toute façon, je n'avais pas un mot à dire; je ne pouvais pas aller me plaindre à la police pour me dire qu'il manquait un peu d'argent ».

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