Il y avait la lassitude après neuf ans de pouvoir, le goût de faire autre chose, l'attrait d'une vie plus tranquille. Mais à ces éléments, prévisibles, s'en est ajouté un autre, bien plus personnel, dans la réflexion de Jean Charest. Sa femme et ses trois enfants souhaitaient qu'il tire un trait sur la politique.

Dans son autocar de campagne, Jean Charest discute pendant près d'une heure de ce qui a motivé sa décision de mettre de côté les probabilités et de demander un quatrième mandat consécutif.

Au mitan d'une campagne électorale plutôt aseptisée, le chef libéral parle librement de la douleur des proches quand un politicien se fait accuser de tous les maux. Bientôt, d'ailleurs, on sera plus nombreux à s'inquiéter dans le clan Charest. À 54 ans, il sera grand-père à la fin de l'année, lui a appris tout récemment l'aînée de ses filles.

«À chaque campagne électorale, forcément, je dois prendre une décision. L'hiver dernier, je ne cacherai pas que ce n'était pas évident pour ma famille. Quand on s'est tous vus, à Noël, ils me disaient: tu as réalisé ce que tu voulais réaliser...», confie-t-il.

Est alors survenu, en février, l'affrontement avec les associations étudiantes. «Au fil des événements, au printemps, c'est devenu très clair qu'on ne pouvait laisser passer une affaire comme ça, qu'on n'allait pas céder à la rue», insiste M. Charest. Sans cet enjeu sur les droits de scolarité, Jean Charest aurait-il accroché ses patins, comme le lui demandaient ses enfants? «Je suis loin d'être convaincu que je les aurais écoutés!», réplique-t-il bien vite.

Les derniers mois ont été difficiles; sa famille a fait l'objet de menaces dans des vidéos sur YouTube. Un commentateur a dit qu'il était devenu, comme Robert Bourassa en 1976, le politicien le plus méprisé du Québec. Marc Bellemare, son ancien ministre de la Justice, voulait pouvoir lui dire «à six pouces du visage» que les Québécois en avaient soupé de la corruption. «Je n'ai pas d'état d'âme sur ces invectives, il faut relativiser tout ça», dit M. Charest.

Le gros bon sens

Le mal-aimé se compare, pour se consoler. «Comment se fait-il que mes adversaires politiques ne pètent pas des scores de popularité? Les gens font la part des choses, ils sont guidés par le gros bon sens.» Les trois chefs sont, c'est vrai, bien souvent au coude à coude dans la faveur des Québécois. Mais François Legault est subitement passé de dernier à premier. «C'est pourquoi il faut faire attention aux sondages», observe Jean Charest.

Sa campagne ronronne, sans ferveur, sans étincelles. Les événements qui se succèdent ont tous un point commun: Jean Charest ne se mêle pas trop à la population. Il évite les bains de foule des campagnes traditionnelles où les chefs serrent des mains et embrassent des bébés. «J'ai fait ça depuis le début de l'année, j'ai fait une tournée du Québec!», rappelle-t-il.

Il jette un coup d'oeil dubitatif quand on lui tend la page du document de stratégie interne dans lequel les stratèges libéraux profilaient la «question de l'urne», l'emploi et l'économie ou «un référendum et la rue» avec le Parti québécois (PQ). Une grande partie de la campagne libérale misait sur cet enjeu, grand pari quand on observe que le grabuge du printemps a cessé.

«La rue est tranquille parce qu'on va avoir des élections le 4 septembre», observe M. Charest, selon qui l'enjeu est aussi présent qu'au printemps. «Va-t-on confier l'avenir du Québec à quelqu'un qui pense que c'est la rue qui va gouverner?»

Des débats importants

Le Parti libéral (PLQ) ne prévoyait pas que la question de l'intégrité reste si présente, mais l'irruption d'un Jacques Duchesneau pour la Coalition avenir Québec (CAQ) a remis cet enjeu au premier plan. «Avez-vous déjà vu des situations où un parti a le contrôle total de sa campagne? lance-t-il par dépit. Moi, je suis au bon endroit, je défends un gouvernement qui ne cède pas à la rue, je défends l'emploi, l'économie.» Il ne s'inquiète pas de voir les anglophones se tourner vers la CAQ et son chef qui promet de voter non à un prochain référendum. «Pourquoi voudraient-ils qu'on abolisse leurs commissions scolaires?»

À l'approche de la série de débats télévisés, Jean Charest soutient espérer beaucoup des échanges en face à face. Une sorte de «dialogue» pourra s'instaurer, ce qui permettra à chacun d'expliquer son programme. Les apparatchiks du PLQ disent qu'une nouvelle campagne débutera avec ces duels, car Jean Charest est un meilleur «débatteur». Les débats sont «une nouvelle étape», se limite à dire M. Charest. On y retrouve des politiciens d'expérience, les «K.-O.» sont rarissimes. «Le seul que j'ai vu, c'est quand une animatrice [Claire Lamarche] a perdu connaissance», rappelle-t-il, amusé.

La campagne 2.0 et les médias sociaux? En tournée, Jean Charest ne lit même pas les journaux. Il est donc loin de Twitter! Pour lui, ces nouveaux médias restent le lieu «d'une grosse conversation entre les apparatchiks et les journalistes». «Je fais plutôt un effort pour me concentrer sur les choses que je veux dire», explique-t-il.

Le lendemain des élections, le 5 septembre? «Mon Conseil des ministres sera convoqué, c'est un mercredi», dit sans broncher celui que tous les sondages donnent perdant. Pas un mot sur son plan de match si les Québécois décidaient de lui donner congé. «Le seul scénario que j'ai devant moi, c'est de continuer comme premier ministre du Québec», tranche-t-il, sans appel.