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Des attachés politiques tentent de refaire une beauté à l'avion de Stephen Harper, sans succès

Ottawa a voulu refaire une beauté à l'avion de Stephen Harper
CP

Des attachés politiques de Stephen Harper ont tenté d'influencer dans les moindres détails l'apparence de l'Airbus utilisé par le premier ministre lors de ses déplacements. Ils ont même demandé aux responsables du ministère de la Défense d'y faire peindre une feuille d'érable en dégradé, en tous points semblable à celle qu'on voyait sur les autocars du Parti conservateur lors des élections de mai 2011.

Selon des documents obtenus par le Huffington Post Canada en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, ces employés, qui gèrent habituellement des dossiers de la plus haute importance, ont passé un temps déraisonnable à réviser les couleurs, la typographie et les logos devant apparaître sur le fuselage de l'appareil.

Après avoir rencontré le personnel du Bureau du premier ministre et du Bureau du Conseil privé, le major Tim Neal, responsable de la flotte aérienne, a envoyé une liste de recommandations à Jim Belliveau, le designer graphique attitré aux projets VIP à la base de l'Aviation royale canadienne de Cold Lake, en Alberta.

Sur une note écrite le 7 juin 2011, on peut lire : « Vous trouverez en pièce jointe la feuille d'érable en dégradé de l'autocar conservateur. C'est exactement l'effet visuel qu'ils recherchent. » M. Neal ajoute que le Bureau du Conseil privé souhaite voir « des petites feuilles d'érables en relief » autour des portières. Sur la queue de l'appareil, le drapeau canadien doit être remplacé par une feuille d'érable stylisée en dégradé. Les ailettes aux extrémités de la voilure doivent être décorées d'une feuille d'érable dorée. Le fuselage doit arborer le slogan « True North Strong and Free » ainsi que son équivalent en français.

Dans une autre note écrite quelques mois plus tard, M. Neal admet avoir de la difficulté à traduire « True North Strong and Free ». Par conséquent, le Bureau du Conseil privé suggère à Ray Novak, secrétaire principal de Stephen Harper, d'utiliser « Une épopée des plus brillants exploits ». M. Novak répond alors à l'aide de son iPad : « C'est très utile, _____ » (reste de la phrase censuré).

L'entourage de Stephen Harper affirme depuis des années que les avions utilisés pour ses déplacements ne sont pas dignes d'un premier ministre. M. Harper voyage dans l'un ou l'autre des cinq Airbus militaires CC-150 Polaris, qui effectuent les missions officielles de manière interchangeable.

Jusqu'en 2011, le ministre de la Défense Peter MacKay insistait pour que ces appareils demeurent peints en gris, afin de garantir leur sûreté lorsqu'ils atterrissent en zone de guerre. Mais il semble que le Bureau du premier ministre ait eu gain de cause en 2012.

Le 28 septembre dernier, l'attaché politique responsable du marketing et des nouveaux médias Herman Cheung a exigé d'assister à une réunion concernant les Airbus, afin d'y proposer un système de télécommunications « plus rapide et plus abordable, similaire aux liaisons Internet des grandes compagnies aériennes ».

À cette occasion, le lieutenant-colonel Alan Mulawyshyn, analyste en matière de défense et de politique étrangère au Bureau du Conseil privé, a laissé transparaître son exaspération. Dans un courriel adressé à l'un de ses collègues du ministère de la Défense, il a écrit : « Le fun n'arrête jamais... »

Les documents que le Huffington Post a obtenus sont partiellement censurés, mais démontrent que le Bureau du premier ministre a pris l'initiative de diriger la refonte graphique.

Son directeur des communications Andrew MacDougall n'y voit rien de répréhensible : « C'est l'avion qui représente le Canada et son premier ministre à travers le monde. Il est tout à fait normal que notre bureau donne son avis. »

À l'automne 2011, les concepts d'habillage de l'Airbus n'ont cessé de changer. Le Bureau du premier ministre n'était pas satisfait du dégradé de la feuille d'érable et a suggéré un « drapeau ondulant au vent », afin que l'appareil se distingue davantage de ceux d'Air Canada. Le graphiste Jim Belliveau a donc proposé quelques variantes, avec des bandes colorées près des extrémités, évoquant les aurores boréales ainsi que les 13 provinces et territoires.

En fin de compte, l'entourage de Stephen Harper a choisi un drapeau canadien standard, présenté d'une manière similaire au drapeau américain de l'Air Force One, et quasiment identique à l'unifolié du Boeing 707 utilisé jusqu'en 1997.

Parmi les autres préoccupations du Bureau du premier ministre, on dénote l'apparence de l'avion durant les séances photos. Pour enjoliver le portrait lorsque Stephen Harper arrive dans un pays étranger et salue les dignitaires, par exemple, les attachés politiques souhaitaient « des petites feuilles d'érable automnales, s'envolant à gauche de la portière et virevoltant autour de celle-ci ».

Jim Belliveau n'était pas du tout convaincu de la pertinence de cette idée. « Quand je relis leur concept de petites feuilles rouges, je pense aussitôt à la rougeole ou à l'acné », a-t-il écrit au mois d'octobre. « Cet avion doit être facilement identifiable et représenter le Canada à n'importe quelle distance. Des petites feuilles auraient un effet brouillon, et pourraient même ressembler à des taches de rouille ou des écailles de peinture lorsque l'avion est filmé sur la piste, durant le roulage. La dernière chose que je souhaite est que les gens croient que la peinture est endommagée, ou qu'ils aient de la difficulté à en discerner les éléments. »

M. Belliveau a tout de même essayé d'intégrer dans sa maquette différentes feuilles d'érable de couleur blanche ou de plus grande taille. Les résultats l'ont toujours déçu, surtout à distance. « J'ai encore cette impression de maladie de peau ou d'acné », a-t-il répondu au mois de novembre à l'un de ses correspondants à Ottawa.

Par ailleurs, M. Belliveau craignait que la peinture ne résiste pas au vent et fasse grimper les coûts du projet. « Pour votre information, il y a une différence de 400 dollars par gallon entre la peinture de couleur rouge et celle de couleur bleue », a-t-il écrit en guise d'avertissement. « Le jaune et l'orangé sont dans la même gamme de prix. »

Le Bureau du premier ministre se défend bien de faire grimper les coûts de peinture de l'Airbus. « Peu importe le design choisi, les nouvelles couleurs seront apposées juste après un entretien de routine qui a pour effet d'endommager la peinture du fuselage », a précisé Andrew MacDougall mercredi.

« Comme nous l'avons maintes fois mentionné, la refonte graphique n'aura lieu que si elle n'entraîne pas de coûts additionnels. La peinture sera effectuée dans le cadre du cycle d'entretien régulier de l'appareil. Cet Airbus est repeint au complet à tous les six ans. »

Pourtant, les documents que nous avons examinés révèlent que le Bureau du premier ministre a tenté de devancer de six mois le contrat d'entretien de l'Airbus, de manière à ce que Stephen Harper entreprenne ses nombreux voyages de l'été 2013 dans un bel avion blanc fraîchement repeint.

Le ministère de la Défense s'est opposé à ce plan. Au moins un haut responsable des Forces canadiennes a allégué que le ministère encourrait des pertes si le processus d'entretien était devancé.

Bref, la peinture de l'Airbus numéro 1 aura vraisemblablement lieu à l'été 2013, comme prévu initialement. Deux ou trois maquettes ont été finalisées, mais Stephen Harper n'en a approuvé aucune pour l'instant.

Chose certaine, on ne verra pas de petites feuilles d'érable virevolter autour de la portière avant.

Après plus de deux ans de planification et des milliers de courriels, il semble que l'avion du premier ministre ne sera guère différent de celui des années 1990. La partie supérieure du fuselage sera peinte en blanc cassé, et le dessous en bleu ou en gris. Les armoiries du Canada figureront sur le flanc, tandis que la queue arborera un drapeau unifolié rouge et blanc.

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