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Guy Turcotte demeure détenu

Guy Turcotte demeure détenu
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L'ex-cardiologue Guy Turcotte, reconnu non criminellement responsable du meurtre de ses deux enfants, demeurera détenu à l'Institut Philippe-Pinel, mais il pourra sortir sans être accompagné de quiconque d'ici trois mois.

Telle est la décision que vient de rendre la Commission d'examen des troubles mentaux. Le jugement, qui fait l'unanimité des cinq juges du tribunal administratif, a été publié jeudi matin, à 10 h, sur le site Internet de la Société québécoise d'information juridique.

Une nouvelle audience dans ce dossier sera tenue en décembre 2012 afin de « réévaluer l'évolution de l'accusé et le risque qu'il pourra alors représenter pour la sécurité du public ».

La Commission conclut que Guy Turcotte demeure « très fragile », et que la preuve qui lui a été soumise « n'a pas démontré qu'il a acquis les habiletés nécessaires pour faire face aux très grandes difficultés qu'il va rencontrer sur le chemin de sa réhabilitation ».

« Cette grande fragilité et l'insuffisance de moyens développés par l'accusé pour la contrer constituent un risque réel de rechute. Ce risque n'est pas hypothétique, mais plutôt bien étayé par la preuve. » — Extrait du jugement

« Il est aussi bien établi que quelqu'un qui a souffert d'un trouble de l'adaptation est plus susceptible qu'un autre d'en connaître un nouvel épisode dans un contexte de stress important ou de relations interpersonnelles difficiles », poursuivent les juges administratifs. « Or, nul besoin d'être un devin pour voir que l'accusé va connaître plus que sa part de stress important et de relations interpersonnelles difficiles. »

La Commission dit être convaincue que, « dans un contexte de rechute entraînant une désorganisation de son état mental, l'accusé représente un risque important de poser des gestes de nature criminelle mettant sérieusement en danger la sécurité physique ou psychologique d'autrui ».

Une transition vers la réalité du monde extérieur

Les juges administratifs estiment donc que Guy Turcotte ne peut donc pas être libéré inconditionnellement, ni être libéré sous réserve de conditions. « Il doit être accompagné et supervisé dans la transition entre son environnement actuel et la vie dans la réalité du monde extérieur », concluent-ils.

Extrait du jugement

[Guy Turcotte] est depuis un peu plus de trois ans dans un milieu protégé et encadrant - le centre de détention, dans un premier temps, et l'Institut A, depuis le 18 juillet 2011. Le contraste entre les deux mondes, dans le contexte qui est le sien actuellement et compte tenu de sa fragilité, est tel que, tant pour assurer la protection du public que pour faciliter sa réintégration sociale, son retour dans la communauté doit s'effectuer dans un processus qui, en dépit de sa bonne volonté et celle de ceux qui sont prêts à l'accueillir et à l'accompagner, ne peut être fait par un passage immédiat à la vie hors d'un établissement hospitalier.

Des spécialistes doivent pouvoir superviser, sur une base très régulière, son état, son comportement et sa capacité de gérer les situations très stressantes qu'il vivra certainement. Ils doivent aussi pouvoir intervenir rapidement si le besoin s'en fait sentir. Finalement, l'accusé pourrait plus facilement choisir de bénéficier de la thérapie dont il a besoin afin que ses mécanismes adaptatifs puissent enfin répondre aux stresseurs qui l'attendent en société.

Pour les trois prochains mois, Guy Turcotte pourra sortir pour une période pouvant progressivement atteindre huit heures, pourvu qu'il soit accompagné d'un membre de sa famille immédiate (père, mère, frère ou soeur) ou d'un membre du personnel de l'établissement. Il devra réintégrer l'Institut tous les soirs à l'heure fixée par l'équipe traitante.

Pour les deux mois subséquents, Guy Turcotte pourra sortir sans accompagnement, pour une durée qui atteindra progressivement huit heures. Il devra, là aussi, réintégrer l'Institut tous les soirs à l'heure fixée par l'équipe traitante.

À compter du sixième mois et jusqu'à ce que la Commission rende une nouvelle décision à son égard, il continuera de bénéficier de sorties sans accompagnement de durée maximale de huit heures par jour. La durée de ces sorties pourra être augmentée « en accord avec le plan de soins à un maximum de seize heures par jour ». Il pourra alors « coucher chez un des membres de sa famille immédiate à condition qu'au moins l'un d'eux soit présent dans la résidence. »

En tout temps, Guy Turcotte devra s'abstenir de communiquer, directement ou indirectement, par quelque moyen que ce soit, sauf par l'entremise de ses avocats, avec son ex-conjointe Isabelle Gaston et son nouveau conjoint. Il ne pourra non plus se trouver à moins de 500 mètres de leur résidence ou de leurs lieux de travail.

Le responsable de l'Institut Philippe-Pinel reçoit par ailleurs le pouvoir de restreindre ou suspendre les sorties de Guy Turcotte « si l'état mental de ce dernier ou son comportement se détérioraient dans une mesure où la sécurité du public serait menacée de manière significative ».

S'il a recours à ce pouvoir pour une durée de plus de sept jours, le responsable devra l'inscrire au dossier de l'accusé et en informer la Commission. Le cas échéant, une nouvelle audience devra être tenue le plus rapidement possible.

Trois options pour la Commission

La Commission d'examen des troubles mentaux avait pris le dossier en délibéré à la mi-mars. Seules trois options s'offrait à lui:

-une libération immédiate et sans condition;

-une libération conditionnelle (suivi médical, couvre-feu, etc.) avec révision du dossier dans un an;

-une détention fermée avec soins avec révision du dossier dans un an.

La Commission n'a finalement pas retenu les plaidoyers de l'équipe de l'Institut Philippe-Pinel, qui recommandait que Guy Turcotte demeure détenu sans possibilité de sorties à moins d'être accompagné par un membre du personnel de l'hôpital.

« La dangerosité démontrée par la preuve n'est pas telle qu'elle justifierait une telle mesure », estime la Commission. Une telle décision, indique-t-elle, ne « serait pas conforme à l'obligation que nous fait l'article 672.54 du Code criminel, de rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté "compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l'état mental de l'accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale [...]". »

« En fait, une détention de cette nature ne servirait, dans le contexte, qu'à s'assurer de pouvoir prodiguer à l'accusé le traitement dont on estime qu'il aurait besoin. Or, le Code criminel ne permet pas d'imposer un traitement à l'accusé », peut-on lire dans le jugement.

La Commission n'a pas davantage retenu les arguments de l'avocat et des experts embauchés par Guy Turcotte. Ces derniers arguaient notamment que le risque que l'ex-cardiologue récidive était faible, qu'il ne souffrait plus du trouble d'adaptation qu'il avait au moment des délits, qu'il pouvait s'adapter à une situation difficile et qu'il avait un plan de sortie réaliste.

« L'argument selon lequel il est fort peu probable qu'il se retrouve à nouveau dans une situation comme celle qui a contribué à une décompensation mentale n'a pas [...] un poids très grand », conclut-elle.

« Il est évident que le risque qu'il soit à nouveau placé, dans un avenir prévisible, dans une situation exactement comme celle qui prévalait au moment de ses délits est carrément inexistant. Il n'a plus d'enfants ni de conjointe, les personnes au centre du drame qu'il vivait alors ».

Les juges sont aussi d'avis qu'il est difficile de déceler des indices de détresse « chez une personne intelligente comme l'est l'accusé, et qui maîtrise, depuis longtemps, l'art de cacher ses émotions, ses sentiments ». Ils estiment également que la capacité d'adaptation dont il a fait preuve en détention ne le prépare en rien à ce qui l'attend à l'extérieur.

« Il faut être doté d'une personnalité très solide pour faire face à une telle situation. Or, l'accusé n'a jamais démontré une telle solidité. Il a, au contraire, toujours cherché à éviter de confronter la réalité et de s'y adapter correctement. Il a toujours fui cette réalité. La seule fois où il lui a fait un peu face, il a commis l'irréparable. D'ailleurs, encore là, il a choisi la fuite en tentant de se suicider », indique le jugement.

La Commission note que Guy Turcotte a « certainement commencé à acquérir lui permettant de savoir comment mieux composer avec les aspects les plus faibles de sa personnalité », mais soulève des doutes quant à ses motivations réelles.

« On ne peut faire autrement que de s'interroger sur sa conviction profonde quant à son besoin d'une thérapie. Il veut être libéré », notent les cinq juges. « Il sait très bien que son engagement à entreprendre une thérapie constitue un facteur positif dans l'évaluation de l'opportunité de lui permettre de recouvrer sa liberté. On ne peut lui prêter d'intention. Force est toutefois de constater que ce n'est que dans la perspective d'une libération qu'il affirme vouloir entreprendre une thérapie. »

Retour sur un double meurtre

Hospitalisé à l'Institut psychiatrique Philippe-Pinel depuis juillet dernier, Guy Turcotte a avoué avoir poignardé à plusieurs reprises Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans, en février 2009, dans la maison qu'il louait à Piedmont depuis sa séparation avec la mère des deux enfants, Isabelle Gaston.

Au terme d'un procès très médiatisé amorcé en avril 2011 au palais de justice de Saint-Jérôme, Guy Turcotte a été reconnu non responsable criminellement par un jury composé de sept femmes et quatre hommes, en raison de troubles mentaux.

Le verdict rendu le 5 juillet avait soulevé un véritable tollé dans la population. Les réseaux sociaux avaient foisonné de commentaires contre la décision du jury, des appels à la manifestation avaient été lancés, et une pétition pour demander « un verdict plus approprié pour Guy Turcotte » avait recueilli des milliers de signatures sur Internet.

Des experts embauchés par l'ancien cardiologue ont conclu qu'il ne présentait aucun risque pour la sécurité du public et qu'il doit donc être libéré sans condition. Selon eux, il a cheminé suffisamment pour pouvoir reprendre une vie normale.

Pour leur part, les experts de Philippe-Pinel sont d'avis que M. Turcotte n'a pas fait de thérapie significative, puisqu'il refuse de s'ouvrir et de parler des événements tragiques de février 2009.

Les experts doutent que la quinzaine de rencontres qu'il a eues avec une criminologue alors qu'il était en prison aient suffi à éliminer toute trace de sa maladie. Mme Gaston s'est également opposée à la libération de son ex-conjoint, disant qu'elle craignait pour sa vie.

La Commission d'examen des troubles mentaux

La Commission d'examen des troubles mentaux n'a pas le pouvoir ni le mandat de revoir le verdict qui a été prononcé à l'issue du procès.

La Commission des troubles mentaux se compose de cinq juges administratifs : deux avocats, deux psychiatres et un travailleur social.

Son rôle se limite essentiellement à évaluer si le patient est apte à fonctionner en société, s'il ne représente pas de danger pour la population et, le cas échéant, de quel type d'internement et de soins il a besoin.

Par ailleurs, la décision des commissaires n'a pas besoin d'être unanime pour s'appliquer. Elle doit cependant être expliquée par écrit.

Selon la loi, les commissaires ont droit à la dissidence, mais la décision qu'ils rendront doit tout de même recueillir l'assentiment de la majorité d'entre eux.

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