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Jean Ziegler «Je suis la voix des hommes sans voix!»

Jean Ziegler «Je suis la voix des hommes sans voix!»
Sarah-Émilie Nault

Qu'on le lise ou que l'on se retrouve face à face avec lui, Jean Ziegler - rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation de 2000 à 2008 et aujourd'hui vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l'homme de l'ONU - tient le même discours. Un discours tantôt enflammé, tantôt porteur d'espoir, mais certainement toujours dénonciateur des inégalités et des mécanismes d'assujettissement des peuples du monde.

De passage au Québec - sa deuxième présence en sol québécois - pour donner une série de conférences portant sur son tout nouveau livre «Destruction massive, géopolitique de la faim», Jean Ziegler n'y va pas par quatre chemins lorsque vient le temps de parler du problème toujours bien vivant de la faim dans la monde.

«Toutes les 5 secondes un enfant de moins de dix ans meurt de la faim. Cent mille personnes meurent de faim chaque jour. Toutes les quatre minutes, quelqu'un perd la vue par manque de vitamine A. Mais pourtant, l'agriculture mondiale dans l'état actuel pourrait nourrir sans problème 12 milliards d'êtres humains, soit le double de la population actuelle. C'est aberrant!», s'exclame-t-il.

«Au moment où nous parlons il n'y a plus aucun mort objectif», ajoute Jean Ziegler. «Il n'y a plus aucune fatalité. Il s'agit vraiment de meurtres collectifs. Un enfant qui meurt de faim aujourd'hui est un enfant assassiné.»

«Pour réveiller les gens, il faut dire les choses d'une façon très claire», affirme-t-il et c'est ce qu'il réussit admirablement à faire tout au long de «Destruction massive, géopolitique de la faim».

«Nous sommes 5 milliards d'humains sur Terre et l'humanité perd un pour cent de sa substance par an.

66 millions de personnes quittent la planète tous les ans et sur ces 66 millions de personnes qui sont mortes l'an dernier, de toutes les causes possibles, 28,9 millions d'entre elles sont mortes de faim.»

Que la faim soit la cause de desctruction la plus puissante dans un monde débordant de richesses relève ainsi de «l'absurdité totale.»

Ces ennemis du droit à l'alimentation, il n'hésite pas à les dénoncer: «Les trois cavaliers de l'Apocalypse sont la Banque Mondiale, l'OMC et le FMI.» Leur participation à ce «massacre parfaitement évitable», l'auteur en a fait un chapitre complet à l'intérieur de son livre.

Un livre qu'il voit comme une arme mais aussi comme le récit de ses huit années à oeuvrer en tant que premier rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation. Un mandat qui lui a fait découvrir un massacre effroyable.

«C'est le récit des truants que j'ai rencontrés dans les palais présidentiels et les sociétés multinationales mais c'est aussi le récit de mes trahisons. Les gens du Guatemala que j'ai trahis car, au moment où s'allumait l'espérance dans leurs yeux, je savais que c'était foutu et qu'il n'y avait rien à faire pour les aider, que leurs demandes allaient encore rencontrer des refus...», se souvient-il.

De l'espoir

Jean Ziegler insiste; malgré le titre, son livre en est un bordé d'espoir. «Toutes les structures du monde sont faites de main d'hommes et peuvent être changées, brisées par les hommes. En démocratie, les citoyens ont toutes les armes pour espérer ce changement radical. En démocratie, on peut tout faire. C'est ça l'espoir!», dit-il.

«Il faut combattre ce sentiment d'impuissance dans nos sociétés», affirme Jean Ziegler. «Pour combattre la faim dans le monde il faut, entre autres, exiger du gouvernement l'interdiction à la spéculation boursière, le dumping agricole, les biocarburants et demander l'abolition de la dette extérieure des pays les plus pauvres. Tout cela, on peut l'obtenir!», croit-il.

La volonté de faire changer les choses, particulièrement palpable chez les jeunes, impressionne Jean Ziegler. «C'est tout à fait faux, quand on dit que la jeunesse est amorphe. Au contraire, les jeunes viennent me voir, posent des questions intelligentes et me demandent «Qu'est-ce qu'on peut faire?»»

Jean Ziegler a conclu notre entretien en citant Che Guevara (qu'il a lui-même rencontré): «Les murs les plus puissants s'effondrent par des fissures». Il n'y a pas de doute, «Destruction massive, géopolitique de la faim» vient de créer une solide brèche dans le mur de la faim.

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