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EXCLUSIF: La reconstruction de l'échangeur Turcot serait retardée et coûterait plus cher

Plus cher, plus tard..
PC

Les coûts de reconstruction de l’échangeur Turcot risquent de grimper et les délais de s’allonger, selon ce qu’a appris le Huffington Post Québec. Le ministre des Transports, Pierre Moreau, pourrait le confirmer le mois prochain lorsqu'il fera le point sur le projet.

Le fait qu’une partie des infrastructures routières et ferroviaires doit être déplacée dans une zone marécageuse, aux sols instables, ne serait pas étranger aux délais. Le ministère des Transports (MTQ) se serait engagé sur une pente glissante en optant pour le déplacement des rails du CN et des voies de l’autoroute 20 vers le nord, au pied de la falaise Saint-Jacques. On parle de sols marécageux, puisqu’il s’agit de l’ancien lit de la rivière Saint-Pierre.

Il va sans dire que d’importants travaux de stabilisation des sols devront être réalisés avant que le maître d’œuvre soit en mesure de donner le feu vert au fournisseur qui sera sélectionné, ce qui compromettrait la mise en service de la nouvelle structure prévue en 2017.

L’architecte Pierre Brisset, bien au fait du dossier, croit que le tracé original du CN – compris dans un corridor central situé entre le Canal de Lachine et la falaise Saint-Jacques – faisait très bien l’affaire. «C’est une folie que de vouloir déplacer toute cette emprise vers des sols qui n’ont pas de capacité portante, précise-t-il. Deux de mes contacts estiment que la facture pourrait avoisiner les 500 millions de dollars pour cette seule opération et, qui plus est, on ne pourra plus profiter de la falaise pour aménager une coulée verte.»

La responsable des communications chez Infrastructure Québec, Carole Bissonnette, répond par écrit que ce choix est tributaire d’«une décision concertée entre le MTQ et la Ville de Montréal». Et, de préciser que «cette décision a pour objectif la protection du potentiel de développement du secteur situé entre la falaise Saint-Jacques et le Canal de Lachine. La ville devra dans les prochaines années réaliser un plan particulier d’urbanisme pour ce secteur afin de définir l’usage qui sera fait de la Cour Turcot».

Mêler les cartes

Pourtant, la Ville de Montréal et l’ensemble des organismes environnementaux s’étaient entendus pour réaménager la Falaise Saint-Jacques en coulée verte, dans un contexte où ce secteur souffre cruellement d’un nombre croissants d’îlots de chaleur.

Pierre Brisset s’indigne face à ce qui ressemble «à une opération de constitution d’une future réserve foncière pour faire du développement immobilier sur le dos des contribuables». Une position reprise par le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, et par le Conseil régional de l’environnement (CRE) de Montréal.

Le MTQ soutient que la relocalisation des infrastructures routières et ferroviaires permettrait de désenclaver l’ancienne cour de triage Turcot, une immense zone en friche qui représenterait un fort potentiel de développement urbain. Pourtant, de l’avis du même ministère, il en coûterait un minimum de 150 millions de dollars pour la seule opération de relocalisation des emprises, tout cela sans compter la préparation des sols marécageux de la Falaise Saint-Jacques.

Interrogée à ce sujet, Carole Bissonnette ajoute que «les conditions de mise en œuvre et de performance à ce sujet feront l’objet d’exigences spécifiques qui seront précisées dans le cadre de l’appel de proposition à venir pour le contrat Conception-construction».

Du côté de Transports Québec, la porte-parole Caroline Larose confirme que le projet présenté en novembre 2010 fera l’objet de modifications importantes. «Certains secteurs du projet ont évolué, explique-t-elle. Il est toutefois trop tôt - l’appel de qualification étant en cours - pour vous fournir de nouvelles esquisses. Un dossier complet pourrait vous être fourni au mois de mai.»

Le mode de gestion questionné

Les firmes présélectionnées ont jusqu’au 2 mai pour soumettre leur candidature pour la démolition et la reconstruction de l’imposant complexe. Le MTQ dit vouloir tirer parti d’une «participation importante du secteur privé en ce qui a trait au partage des responsabilités et des risques», ce qui a guidé l’adoption du mode de gestion de type Conception - construction.

Qu'est-ce que le mode « conception-construction »?

Il s’agit d’un mode de gestion de projet qui consiste à confier au fournisseur l’intégralité de la conception, de la préparation des plans et devis, sans oublier toutes les phases de construction du futur ouvrage. Toutefois, c’est l’état qui financera le projet. Le gouvernement affirme que ce mode de gestion fera en sorte de transférer à l’entreprise privée la majeure partie des risques liés aux coûts et au respect de l’échéancier du projet. Finalement, afin de préserver l’intégrité du processus, Infrastructure Québec et le Ministère des Transports feront appel à un vérificateur de processus et à un arbitre de conflit d’intérêts afin de surveiller le déroulement du projet.

Pas moins de 37 firmes de génie-conseil triées sur le volet – sans oublier les entrepreneurs en travaux routiers – ont pu prendre connaissance des règles du jeu lors de la séance d’appels de qualification, tenue le 11 janvier dernier. Seuls trois finalistes seront sélectionnés. Déjà, plusieurs ont poussé les hauts cris puisque le maître d’œuvre exige des garanties financières qui favorisent les très grands consortiums.

Optant de plus en plus pour une gestion des grands projets en PPP ou en Conception-construction, le MTQ délègue énormément de responsabilités à des fournisseurs qui vont facturer une prime en fonction de la gestion du risque.

Cette façon de faire peut s’avérer fort risquée si l’«on ne connait pas l’état des sols, leur niveau de contamination ou leur résistance», explique le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Michel Gagnon.

Dans le cas du projet Turcot, alors qu’on nage en pleine zone marécageuse, Québec confirme que c’est en phase d’appel de proposition (après que les trois finalistes aient été désignés) que les critères de préparation des sols seront définis.

«Le MTQ semble vouloir mettre toute la responsabilité de la gestion des sols sur le dos du futur fournisseur, estime l’architecte Pierre Brisset. Comment peut-on enclencher des travaux préparatoires sans pouvoir compter sur des sols stabilisés ?» Il soutient qu’habituellement, c’est le maître d’œuvre qui doit livrer des sols conformes aux opérations d’aménagement prévues.

Les documents de l’appel de qualification spécifient que «le concepteur-constructeur assumera tout dépassement de coûts», ce qui laisse présager une facture globale qui pourrait se rapprocher des 4 milliards de dollars – soit un milliard de plus que prévu.

Me Pierre Descoteaux, un avocat spécialisé dans le domaine de la gestion des projets de construction, estime lui aussi qu’habituellement, «c’est le donneur d’ouvrage qui devrait prendre en charge les questions de sol et de sous-sol pour que le fournisseur sélectionné puisse prendre ses responsabilités et livrer un travail selon les règles de l’art».

Il croit que le MTQ devrait assumer les risques de la préparation des sols, ce qui éviterait de «faire assumer à l’entrepreneur tous les risques, dans un contexte où ce dernier va entrevoir le pire scénario possible et finira par figurer des coûts de réalisation très élevés».

Avec la collaboration de Jean-Philippe Cipriani

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