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Québec sort les omnipraticiens des hôpitaux
Le HuffPost Québec

Afin d’encourager l’accès aux médecins de famille, Québec autorise depuis décembre les omnipraticiens à réduire de moitié le temps que plusieurs devaient consacrer aux patients hospitalisés. Une décision qui suscite l’inquiétude dans plusieurs hôpitaux de la province et qui fait craindre pour le maintien de la qualité des soins.

Cette modification à la liste des «activités médicales particulières», une liste d’activités médicales obligatoires à tout omni lors de ses premières années de pratique, est accueillie comme une douche froide par plusieurs.

«La qualité des soins n’est peut-être pas en péril dans l’immédiat, mais ça va être un sacré défi de la maintenir», déplore le Dr Hoang Duong, président du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) du Centre hospitalier Pierre-Le Gardeur.

Le Dr David Hervieux, un omnipraticien qui fait du suivi d’hospitalisation depuis près d’une dizaine d’années à ce même hôpital, craint lui aussi pour la qualité des soins si de plus en plus de ses collègues décidaient de réduire leur temps au chevet de patients hospitalisés.

«Depuis une semaine, on a plein d’échanges de courriels à ce sujet, relate-t-il. On se dit que si on se retrouve à avoir des tournées avec 30 patients lourds parce que du monde est parti, on va faire la même chose qu’eux.»

«En fait, je me demande si ce n’est pas l’intention non écrite: nous faire sortir des hôpitaux», dit-il. Bien qu’à titre de médecin de famille, il comprend très bien que les contraintes - de longues heures de travail et des gardes de jour comme de nuit - séduisent de moins en moins de jeunes médecins.

«Une femme médecin qui a de jeunes enfants, pour elle, l’hospitalisation, ça peut rapidement devenir invivable, explique-t-il. Et les jeunes omnis, ce sont presque tous des femmes.» Il est convaincu qu’en enlevant les contraintes qui forçaient les omnis à travailler en centres hospitaliers, de moins en moins d’entre eux accepteront d’y aller de bon gré. Surtout, dans un contexte où «tout est plus lourd, tout est plus complexe qu’avant».

Une opinion partagée par le président du CMDP de la Cité-de-la-Santé à Laval, le Dr Raymond Gendreau, qui doute fortement de la pertinence de confier aux médecins spécialistes l’hospitalisation des patients.

«Un patient qui entre avec une artère bouchée et qui n’est traité que pour ça par son cardiologue, aujourd’hui ça n’existe plus. Maintenant, il entre peut-être pour le coeur, mais on va lui trouver un diabète, un problème aux poumons, etc. », explique-t-il, avant de conclure qu’ «un cardiologue, ce n’est pas la bonne personne pour prendre en charge ce type de patients».

Hoang Duong est encore plus catégorique. «Un spécialiste qui hospitalise, en 2012, ça ne marche plus. Les gens aujourd’hui sont trop malades, les pathologies sont trop inter-reliées, trop complexes pour qu’elles soient confiées à un seul spécialiste». Pour lui, tout comme pour le Dr Gendreau et plusieurs autres, «ça prend quelqu’un qui a une vue d’ensemble sur les problèmes du patient».

À Joliette, toutefois, le président du CMDP du Centre hospitalier régional de Lanaudière, le cardiologue Simon Kouz, est plus nuancé. S’il se dit lui aussi inquiet des turbulences à venir dans son hôpital, il estime que les spécialistes «sont tout à fait capables de prendre en charge l’hospitalisation de patients, même si ceux-ci souffrent de plusieurs pathologies». Il rappelle qu’un cardiologue fait quand même trois ans de médecine interne, soit la spécialité des multipathologies.

«Et qu’est-ce qu’un cardiologue connait des poumons lorsque ça fait vingt ans qu’il n’a pas traité ça?», répond le Dr Duong, lui-même interniste.

Des «hospitalistes»

Ailleurs au pays, où les médecins omnipraticiens ne travaillent que rarement dans les centres hospitaliers afin de se consacrer entièrement à la prise en charge de patients en cabinet, l’hospitalisation est gérée par ce qu’on appelle des «hospitalistes». Il s’agit de spécialistes de l’hospitalisation, la plupart du temps des internistes, qui sont littéralement affectés comme chefs d’orchestre au chevet des patients.

Québec aimerait-il se doter d’une spécialité «hospitalière» comme on en trouve dans les autres provinces? «C’est clair que le gouvernement a augmenté les effectifs dans les spécialités dites généralistes ces dernières années, notamment en médecine interne», explique le Dr Duong. «Mais à court terme, j’aurais aimé qu’on assure une transition, qu’on demande aux spécialistes comment ils vont se réorganiser. C’est flou pour l’instant».

Les omnis confiants

De son côté, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) se réjouit d’une décision qui va encourager les jeunes médecins à consacrer davantage de temps à la prise en charge de patients.

«Il y a un consensus: la population veut des médecins de famille, le ministère tient à ce que les Québécois aient des médecins de famille, alors c’est logique de faire en sorte que la prise en charge en cabinet soit considérée comme une priorité», estime le Dr Serge Dulude, l’un de ceux qui ont piloté ce dossier depuis le début à la FMOQ.

«Si nous n’étions pas dans une dynamique où un grand nombre de jeunes médecins vont entrer sur le marché, on pourrait avoir peur, mais là, il va y avoir davantage de bras», soutient-il.

Le Dr Hervieux ne partage pas cet optimisme. «D’accord, il va y avoir davantage de bras, mais les bras, ils ne veulent plus aller dans les hôpitaux et maintenant, on ne va plus les forcer à y aller.»

L’objectif de Québec est d’augmenter l’accès aux médecins de famille afin de favoriser le désengorgement des urgences. Mais selon le Dr Huong, on risque de déshabiller Paul pour habiller Jacques.

«Si plus d’omnis font de la prise en charge en cabinet, ils seront plus nombreux à avoir, tôt ou tard, besoin de l’avis d’un spécialiste, juge-t-il. Par contre, si les spécialistes doivent faire davantage d’hospitalisation, ça signifie aussi qu’ils auront moins de temps à consacrer aux demandes de consultations des omnis, allongeant du coup le temps d’attente pour voir un spécialiste».

Résultat : «Les gens vont retourner attendre à l’urgence dans l’espoir de voir rapidement un spécialiste.»

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