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60 ans de règne d'Elisabeth II: face à l'Histoire

Régner sans gouverner, retour sur 60 ans de règne d'Elisabeth II
AFP

Elisabeth, ou l'histoire d'un paradoxe. En soixante ans de règne, ses douze premiers ministres, les guerres et les crises économiques ont remodelé son royaume sans entamer le prestige et la cote d'amour dont jouit la "grand-mère du peuple". Malgré la Guerre Froide, la décolonisation, les chocs pétroliers et les soubresauts de la mondialisation. Her Majesty est toujours là.

Et malgré cela, pas une loi ne porte la marque d'Elisabeth II. En bonne monarque constitutionnelle, The Queen ne "règne que sur les esturgeons, les baleines et les cygnes", écrit le journaliste Marc Roche. À 85 ans passés, elle devra attendre 2015 pour espérer égaler le record établi par la Reine Victoria. Son acharnement à régner sans gouverner sera-t-il le seul héritage politique que la doyenne des têtes couronnées léguera à la postérité?

Réactionnaire, inutile, dépassée, coûteuse, anachronique... Elisabeth II, reine d'apparat plus que d'opérette, ne mérite-t-elle pas mieux que ce portrait sommaire?

Réactionnaire? Une gardienne de la démocratie

Lorsqu'elle monte sur le trône à 25 ans, en 1952, Elisabeth n'a reçu qu'une éducation politique restreinte dont l'étendue de ses fonctions est résumée dans l'ouvrage de référence de Walter Bagehot, "English Constitution" (1867): "le droit d'être informé, d'encourager et d'avertir". En dehors de ce cadre pour le moins restreint, la reine redevient un sujet comme les autres. Même le discours du trône, que la monarque délivre au Parlement, est rédigé par les services du Premier ministre.

L'arrière-arrière petite fille de Victoria n'en demeure pas moins un symbole de la démocratie britannique. Valeur qu'elle a su porter en ne s'opposant jamais au verdict des urnes, en tolérant sans ciller l'avènement des premiers ministres travaillistes qui n'avaient pas -c'est peu de le dire- sa préférence, en subissant de bonne grâce la poussée sans lendemain du sentiment républicain ou l'interdiction de sa chère chasse à cour. "La reine Victoria était interventionniste. Elisabeth a parfaitement intégré les normes de la monarchie constitutionnelle, comme le fit son père avant elle", résume l'historien Philippe Chassaigne, spécialiste de la Grande-Bretagne. Monarque et démocrate.

Inutile? Un pouvoir discret plutôt que discrétionnaire

Signe que son impact sur la destinée de la planète n'est que relatif, le magazine Forbes classait encore Elisabeth II à la 49e place de son classement 2012 des 100 femmes les plus influentes du monde, devant la reine Rania de Jordanie, mais loin derrière Lady Gaga. De quoi laisser songeur.

En soixante ans, Elisabeth aura pourtant usé de ses maigres prérogatives royales pour faire entendre sa petite voix par dessus le tumulte des joutes des Tories et du Labour. De par la durée de son règne, "la reine jouit d'un pouvoir moral et d'influence certain. Tout particulièrement parce qu'elle se situe au-dessus des partis. Aucun premier ministre ne peut y être indifférent", analyse Philippe Chassaigne, auteur de "La Grande-Bretagne et le monde" (Ed. Armand Colin). La reine, qui lit quotidiennement les dépêches qui lui sont adressées, se tient informée de l'état du Royaume lors d'entretiens en tête à tête avec le chef du gouvernement dont rien ne transpire. A-t-elle pu, à cette occasion, infléchir telle ou telle décision? Nul ne le sait. Un pouvoir discret plus que discrétionnaire donc, mais sûrement plus efficace lorsque la majorité au pouvoir est ténue ou le chef du gouvernement inexpérimenté. David Cameron est prévenu.

Dépassée? Un conservatisme pragmatique

Dans une Grande-Bretagne écartelée entre tradition et modernité, entre le tea time et la déchéance d'Amy Winehouse, la reine de 85 ans sait vivre avec son temps, quitte à incarner à reculons le point d'équilibre de ce grand écart. Non qu'elle soit avant-gardiste sur le plan des moeurs ou une écologiste revendiquée comme son fils Charles. "On ne connait pas ses idées politiques. Mais on se doute, au regard de ses origines aristocratiques, de son ancrage rural et de ses fortes convictions religieuses, qu'elle se situe au centre-droit. En France, elle voterait François Bayrou", analyse Marc Roche, auteur de "La Dernière reine".

Conservatrice sur le fond et vieux jeu sur les valeurs donc, mais également pragmatique et tolérante. Sa fibre sociale, qui se manifesta lors des années de fer de l'ère Thatcher, son investissement humanitaire, qui ne s'est jamais démenti, lui confèrent l'aura du paternalisme bon teint qui soudent les classes sociales en période de crise. Des qualités contradictoires qui expliquent cette résistance au changement doublée d'une formidable capacité d'adaptation.

Coûteuse? Un bon rapport qualité-prix

Les critiques sur le coût de la monarchie ont connu leur apogée en 1992, "annus horribilis" pour la reine qui voit plusieurs membres de sa famille se séparer avec fracas. Lors de l'incendie du Palais de Buckingham, la question du coût des réparations, à la charge des contribuables, lève un vent quasi-révolutionnaire. Depuis, le coût de la famille royal reste un sujet sensible, comme en témoigne la sobriété budgétaire du jubilé de diamant de la reine, cure d'austérité oblige. Soumise à l'impôt sur le revenu, la reine n'a plus le contrôle absolu de ses finances et doit désormais justifier à l'État la manière dont elle dépense les quelque 38 millions de livres (44 millions d'euros) versés chaque année par le Trésor public.

Elisabeth II, dont la fortune personnelle est estimée à 500 millions d'euros, n'en demeure pas moins une reine très rentable. Chaque Britannique ne dépense d'ailleurs que 69 pence (80 centimes d'euro) par an pour financer la famille royale, soit un peu moins de 50 millions d'euros de coût global. "La monarchie a un très bon rapport qualité-prix", estime Marc Roche, pour qui elle constitue même un des atouts marketing et touristiques majeurs de la Grande-Bretagne. A titre d'exemple, le mariage de Kate et William devait rapporter à lui seul la bagatelle de 600 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'économie britannique. Faites vos comptes.

Anachronique? La nation chevillée au corps

Parmi les reproches adressés à la monarque, le plus féroce reste celui de son anachronisme. "Certains font le constat que la monarchie ne reflète plus un pays qui a tant changé en soixante ans. La question qu'ils posent est de savoir si ce pays doit être représenté par une famille totalement blanche, héritée de l'Europe d'il y a deux ou trois siècles.". La critique, relayée par le documentariste Don Kent dans une interview accordée à Sud-Ouest, n'est pas dénuée de fondement. Blanche, anglicane, entourée d'aristocrates guindée... la reine contraste avec le multiculturalisme qui prévaut en Grande-Bretagne et dans les Etats du Commonwealth.

Née en 1926, Elisabeth II n'appartient pas au monde cosmopolite du XXIe siècle sans pour autant le rejeter. Peut-être ce caractère désuet est-il aussi la raison d'être de la monarchie britannique, vestige d'une gloire passée et miroir d'un avenir doré. "Après la décolonisation et les crises économiques, Elisabeth II demeure un point de repère dans un monde qui change à toute vitesse. Le fait que l'on ait jamais eu quoi que ce soit à lui reprocher n'y est pas pour rien", anticipe l'historien Philippe Chassaigne, "optimiste" quant à l'avenir de la monarchie. L'écrivain Marc Roche pense de même: "Elisabeth reste un point fixe dans la tempête, le symbole de l'unité de la nation malgré les forces centrifuges du monde moderne. A l'heure où toutes les institutions -politiques, financières, judiciaires, médiatiques- sont frappées par la crise, il reste la monarchie."

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